Le garçon court à présent, il dépasse le restaurant. Sans savoir ce qui le pousse à faire ça, Takuya, qui ne demandait qu’une chose rentrer chez lui et oublier, se lance à sa poursuite. La détresse qu’il a lue dans les yeux du serveur le pousse à accélérer à chaque foulée. Son corps bien entretenu lui permet de rattraper sans peine le jeune homme encore chétif. IL l’attrape par le bras, le garçon se débat mais, bien plus fort que lui, l’homme le force à se retourner. En découvrant les yeux humides du plus jeune Takuya sent quelque chose se briser en lui. Un ange ne devrait jamais pleurer… Oui un ange… Il est si troublé qu’il relâche un peu sa prise, le serveur en profite pour se dérober. Alors qu’il allait reprendre sa course deux bras encercle sa taille et la tête de Takuya vient s’appuyer contre son dos. L’acteur ne sait toujours pas pourquoi il fait ça, il sent juste que c’est la seule chose qu’il peut faire. La seule chose qu’il doit faire. Il sent la respiration rapide et saccadée du garçon contre lui. Petit à petit celle-ci reprend un rythme normal.
_Je suis désolé…
Le corps raidi du garçon se détend peu à peu. Soudain il éclate en sanglots. Takuya le tourne et le serre contre lui, le jeune homme niche sa tête dans son cou, noyant la veste en cuir de l’homme. Celui-ci le berce doucement, murmurant des excuses et des paroles réconfortantes. D’où lui viennent ces mots ?
Les passants les dévisagent. Takuya lit sur leur visage mépris, curiosité, dégoût, moquerie, pitié… Il s’en fiche. Rien d’autre ne lui importe que serrer dans ses bras et apaiser les sanglots du plus jeune.
Lorsque celui-ci ce calme enfin, il se détache des bras de Takuya et lève ses yeux encore mouillés vers lui. Il le regarde droit dans les yeux.
_Je m’appelle Hiro…
L’homme efface avec son pouce les dernières traces de larmes sur le visage angélique de son protégé.
_Je m’appelle Takuya
Pour la première fois il voit un sourire se dessiner sur le visage du serveur : ses yeux se plissent légèrement tandis que les coins de sa bouche se relèvent spontanément, laissant apparaître ses dents d’une blancheur éclatante.
[Qu’il est beau…]
Takuya a tout oublié en cet instant, où il est, qui il est, et surtout le refus de son amie.
_Je… Je te ramène ?
Le sourire du garçon retombe aussi subitement qu’il était apparut. Un instant, Takuya croit distinguer un début de panique sur les traits du jeune homme. Mais celle-ci disparaît bien vite derrière un sourire se voulant détendu et rassurant.
_N..Non, j’habite juste à côté ! Ca va aller merci beaucoup !
Il commence à s’éloigner, le pas légèrement hésitant. Après quelques pas il se retourne, sourit et adresse un signe de la main à Takuya. Celui-ci reste planté là, n’arrivant pas à détourner les yeux du jeune homme s’éloignant toujours plus de lui. Il n’arrive pas à bouger, quelque chose lui crie de le rattraper encore un fois, de ne jamais le laisser partir loin de lui. Mais le peu d’esprit qui lui reste lui ordonne de le laisser et de rentrer chez lui, d’oublier ce garçon étrange… Au prise avec ce dilemme insurmontable l’homme ne sent pas la pluie qui doucement commence à tomber sur ses épaules. Ses cheveux mi-longs se collent contre sa peau, il ne tente aucun mouvement pour les enlever… Une voix le tire brutalement de ses pensées :
_Et bien jeune homme, vous ne vous sentez pas bien ?
Une très vieille et petite dame se tient devant lui, bien que ses yeux soient très plissés et donnent l’impression qu’ils sont fermés, elle le fixe profondément. Elle est toute ridée et donne l’impression qu’une simple brise suffirait à la blesser, sa bouche est si fine qu’on a du mal à apercevoir ses lèvres, mais celle-ci est tirée dans un sourire bienveillant. Ses yeux rieurs et interrogatifs sont toujours fixés sur le visage de l’homme. Celui-ci semble sortir d’un immense rêve. Ses yeux papillonnent plusieurs fois avant de se déposer à leur tour sur la vieille femme.
_Je… Merci, tout va bien…
Il esquisse deux pas hésitants en direction de sa maison, mais une main douce et étonnamment ferme lui retient le bras. Il se retourne sur la femme, celle-ci le regarde toujours l’air amusée, avec toujours le même sourire encré sur son vieux visage.
_Excuse moi jeune homme, mais peux-tu m’aider à porter mes provisions ?
Takuya baisse alors la tête et se rend compte des deux gros sacs pleins qui gisent aux pieds de la vieille dame. Honteux de ne pas y avoir pensé tout seul il s’empresse de s’emparer des sacs, ils se courbe légèrement sous leur poids ne s’attendant pas à ce qu’ils pèsent si lourd.
[Mais comment a-t-elle fait pour réussir à les porter jusqu’ici ?]
Sans un mot, la vieille se dirige en trottinant vers sa maison.
[Elle prend le chemin où Hiro est parti…]
Résigné, Takuya lui emboîte le pas, étonné des petits pas rapides de cette drôle de femme. Celle-ci se retourne de temps en temps, vérifiant qu’il la suit bien et lui adressant son petit sourire. Elle s’arrête quelques minutes plus tard devant une jolie maison et se plante devant l’homme.
_Voila c’est ici.
Elle ouvre la porte, qui n’était pas verrouillée et l’invite à la suivre. Elle lui désigne une table pour poser les provisions. Et ressort sur le palier suivit par Takuya.
_Merci beaucoup jeune homme, tu es vraiment très serviable, voila pour te remercier.
Elle sort de son sac à main quelques yens qu’elle lui tend. Takuya s’incline et refuse gentiment. Il adresse un signe de la main à la vieille et commence à s’éloigner. Soudain il s’arrête, s’apercevant qu’il prend la direction du restaurant. La dame le regarde encore de son perron, et lui dit d’une voix douce bien qu’un peu moqueuse.
_Tu devrais y aller ! Sinon tu le regrettera j’en suis sure…
Il se retourne vivement pour voir la vieille femme.
_De quoi ? Comment savez vous ? Que/
La vieille femme le coupe d’un geste de la main et toujours souriante rentre dans sa maison.
[Quelle drôle de bonne femme…]
Il hésite encore quelques secondes, fixant le restaurant qu’il devine au fond de la rue. Soudain la pluie redouble d’intensité, il se voit alors obligé alors de courir pour se réfugier sous un porche pas loin du restaurant. Il regarde la pluie tomber, ne pouvant se résoudre à entrer.
[Je suis pathétique…]
Tout à coup, des éclats de voix le sortent de ses pensées. Une grosse voix d’homme semble faire trembler les murs du restaurant, il s’en prend manifestement à quelqu’un. Takuya perçoit un bruit de vaisselle se brisant au sol et des insultes. Soudain la porte s’ouvre avec fracas et un homme grand et baraqué pousse violemment une silhouette plus frêle qui tombe sur le trottoir.