Je reste à te regarder de loin, épaulé contre un mur.
C'est souvent que je te retrouve là, installé sur ta chaise, en train de dessiner des choses qui me dépassent dans ton vieux carnet. Parfois, je me surprend en train de nous imaginer une vie qu'on n'aura jamais. Je nous vois, toi et moi loin, très loin d'ici ; tu souris et tu m'appelles par mon prénom avec un naturel qui frise l'absurdité. Je sais que ça n'arrivera jamais, mais c'est difficile pour moi de me faire à cette idée. Après tout et malgré mes nombreux efforts, je pense que je suis amoureux de toi.
Je me demande comment je suis censé de te dire ça, toi qui ne te souviens jamais de moi.
Je m'approche finalement, à petit pas lent, presque avec prudence. J'ai toujours peur de te faire fuir, peur que tu disparaisses soudainement. Mais quand j'arrive près de toi et prend place sur la chaise près de la tienne, celle que j'ai mis là il y a déjà quelques semaines, tu ne bronches pas et continues de faire glisser ton critérium sur ta page déjà bien noircie.
Salut, je souffle en un murmure que seul toi peut entendre.
Tu relèves ton regard et scrutes mon visage avec une curiosité non dissimulé. Je me perds dans tes grands yeux à la lueur innocente et en cet instant j'ai l'impression que cette fois-ci c'est la bonne ; aujourd'hui, j'ai espoir que tu me reconnaisses. J'ai envie d'entendre mon prénom formulé par tes jolies lèvres fines, j'ai envie de l'entendre avec ta voix à peine audible, j'ai envie que tu sois content de me voir.
Mais comme toujours, tu restes muet et ton regard exprime la perplexité. Je sais à quoi tu penses, en cet instant. « Qui est-il ? Que me veut-il ? »
Moi, c'est Kim TaeHyung.
Je te souris mais tu t'abstiens d'en faire de même. Tu te contentes de froncer les sourcils et après une minute de réflexion, tu tires sur la gourmette attaché à ton poignet et regarde le prénom qui y est gravé.
Euh...Mi-Min Yoongi, hésites-tu, comme si t'avais l'impression que la gourmette que tu portes avait le pouvoir de te mentir sur ton identité.
J'ai presque envie de te dire que je sais comment tu t'appelles, mais je sais au fond de moi que ça te ferait peur et je n'ai pas envie que tu te sentes encore plus mal à l'aise que tu ne l'es déjà. Je jette un œil à ton carnet ouvert sur tes cuisses et le désigne du menton.
Qu'est-ce que tu dessines ?
Tu clignes plusieurs fois des yeux et les baisse sur ton cahier, comme si tu avais déjà oublié qu'il était là. Et je sais que c'est possible.
Je...Je ne sais pas.
Je vois que tu paniques à trop y réfléchir. Tu tournes les pages nerveusement et tente désespérément de te souvenir de la logique de tout tes dessins, le souffle presque court. Au moment où je m'apprête à intervenir, tu te stoppes sur un dessin en particulier et cesse presque de respirer.
Tu me regardes et me dévisages.
Il te ressemble, murmures-tu et je souris.
Tu trouves ?
Tu retournes à la contemplation de ton dessin. Tu y réfléchis encore un instant et reprend la parole.
Est-ce que...Est-ce que c'est toi ?
Tu penses que c'est moi ?
A présent, c'est moi qui retient mon souffle.
J'aimerais que tu me dises oui. J'aimerais même que tu sois certain que c'est moi et que tu te souviennes l'avoir dessiné en me regardant, la vieille. Je te revois avec ton sourire mutin au bout des lèvres, me taquinant parce que tu ne voulais pas que je vois le résultat avant que tu es terminé de me dessiner. Tu étais beau, dans ton innocence, oubliant presque que le lendemain tu auras tout oublié malgré toi.
Il...Il a tes yeux, concèdes-tu. Ton nez aussi...
Tu m'observes encore, comme intrigué.
On se connaît depuis combien de temps ?
Tu ne te souviens peut-être pas, mais ton esprit de déduction fait le lien de lui-même. Tu devines qu'on se connaît.
Quelques semaines, j'avoue en pinçant les lèvres. Je venais rendre visite à ma tante qui était hospitalisé ici, c'est là qu'on s'est rencontré.
Tu refermes presque brutalement ton carnet et soupire.
Pourquoi tu reviens ?
La question et le ton accusateur que tu as employé me fait légèrement paniquer.
Je n'y ais pas vraiment réfléchis depuis que je me suis rendu compte de mes sentiments pour toi. A partir de là, ça me paraissait logique de venir te voir tout les jours.
Je...
Je sais des choses, me coupes-tu en te triturant les doigts, n'osant pas me regarder. Je sais que mon prénom est écrit sur mon bracelet. Quand j'oublie comment je m'appelle, c'est comme un automatisme de regarder. Je sais que cette chaise est à moi et je sais comment dessiner, bien que je ne puisse pas vraiment l'expliquer, c'est comme si mes doigts s'en souvenaient à ma place...
...Et si je t'embrasse, tes lèvres s'en souviendront-elles pour toi ?
Et je sais aussi que même si tu reviens tout les jours, même si tu insistes, même si tu me forces, je ne pourrais jamais me souvenir de toi le lendemain matin au réveil. T'en es conscient, pas vrai ?
Une boule étrange se forme au fond de ma gorge et je lutte contre elle en déglutissant bruyamment.
Je le sais. Je crois même que je le sais plus que quiconque. Cela fait-il de moi un imbécile ? Un idiot qui espère des choses qui ne se produiront jamais ? Peut-être. Sans doute, même. En ai-je quelque chose à faire ? Non.
Je le sais déjà, tout ça, dis-je en un sourire en coin. Est-ce que tu vas m’interdire de revenir ?
Même si je le faisais, ça ne servirait à rien, souffles-tu en souriant, presque amusé par la situation.
Oui, puisque demain est un autre jour, pas vrai ?
Et demain, tu ne te souviendras déjà plus de moi.