Chapitre 13 : Embuscade

par Feldspath

Link serra fort le pommeau de l'Épée et fit un pas en arrière, son bouclier dressé devant lui. Les cinq Yigas le toisaient à travers leurs masques, leurs arcs à double encoche bandés dans sa direction. Son petit bouclier, forgé à sa taille, ne pouvait pas le protéger des dix flèches qui le visaient. 

Les Yigas n'en finissaient plus de ricaner et d'exulter. Chacun d’eux semblait décidé à faire durer le plaisir de leur victoire. 

- Adieu, petit héros ! Cette ère est celle du fléau !

- Regardez-le comme il est mignon, avec son air sérieux et son épée trop grande pour lui ! 

- Une héritière incapable d’invoquer le Sceau et un gamin porteur de l’Epée ! Tu remercieras Hylia de notre part, elle nous a bien facilité la tâche. 

Link fronça davantage les sourcils. Il aurait voulu détourner les yeux mais il savait qu’il devait se montrer fort. Il garda donc son regard fixé droit vers les Yigas, tandis que quatre d’entre eux se faisaient égorger. 

La dernière Yiga debout poussa une exclamation de surprise en voyant ses acolytes s’effondrer autour d’elle en éclaboussant l’herbe de leur sang. Elle décocha ses flèches qui se plantèrent dans le bouclier de l’enfant, puis se retourna vivement. Derrière le corps de ses camarades, quatre Sheikahs essuyaient leurs dagues sanguinolentes. Leur tenue de combat dissimulait leurs visages jusqu’à l'arête du nez, mais Link reconnut sans mal Impa. Soulagé que le piège ait fonctionné, il baissa son bouclier et son arme. Son rôle d’appât était achevé ; il pouvait désormais s’en remettre aux membres des services secrets pour conclure la mission. 

Impa rangea nonchalamment sa dague et lança un regard consterné à la traitresse : 

- Quand je pense que nous craignions le clan Yiga, alors que vous n’êtes pas plus compétents en assassinat que l’enfant dont vous vous moquez. 

Elle fit un signe et un de ses agents planta sa dague dans le dos de la survivante. Cette dernière poussa un gémissement étouffé. Une auréole de sang assombrit le tissu de son vêtement. 

- Nous n’avons pas encore perdu, haleta-t-elle en vacillant sur ses jambes. Ganon reviendra. Le fléau envahira Hyrule. Vous n’avez pas idée de ce qui vous attend. Non, vous n’avez pas idée… 

Elle tomba à genoux. Impa s’accroupit devant elle, la désarma et lui arracha son masque. Link reconnut la chevaleresse qui était venue le chercher à la cité Zora pour l’attirer dans ce piège. Un filet de sang coulait au coin de sa lèvre, mais son regard était encore vif et hargneux. 

- Six Yigas, c’est un beau score pour une infiltration dans une escorte d’élite, commenta Impa en baissant son propre masque sous son menton. J’en déduis que ton clan a des pions dans tous les organes de la cour… les domestiques… les soldats… la garde royale… le conseil du roi… 

La traîtresse garda la tête haute et lui adressa un sourire méprisant. 

- J’adore imaginer votre calvaire quotidien, de ne pouvoir vous fier à personne. Y aura-t-il du poison dans votre vin au prochain repas ? Ce garde qui accompagne la princesse va-t-il l’égorger au détour d’un couloir ? Vous pouvez me torturer autant que vous voulez, jamais vous n’aurez de nom. Le plaisir de vous imaginer hantés par la suspicion et l’inquiétude sera bien suffisant pour supporter la douleur.

Impa leva les yeux au ciel. 

- Le clan Sheikah ne pratique pas la torture. C’est ce qui nous différencie des ordures comme vous. 

La Yiga toisa Impa avec dédain, mais Link crut voir un soupçon de soulagement passer sur son visage. 

- Link, viens ici, l’appela la lieutenante des services secrets. 

Le jeune chevalier s’exécuta et se plaça à ses côtés. Il posa sur la Yiga un regard impassible derrière lequel il camoufla les émotions qui se débattaient furieusement dans son ventre. Elle leva vers lui ses yeux haineux. Ses paupières commençaient à tomber et sa peau à blanchir. Il ne lui restait plus beaucoup de forces. 

- Je suis bien contente de te savoir si faible, dit-elle d’une voix sifflante. Être prodigieux au combat ne sert à rien si tu n’es pas capable de tuer. 

- Oh, ne t’inquiète pas, il va apprendre, répondit Impa. La leçon a déjà commencé. 

Elle s’adressa à l’enfant :

- C’est ton adversaire. C’est à toi d’en finir. 

Link tourna les yeux estomaqués vers la guerrière Sheikah et entrouvrit la bouche. Il ravala cependant son objection sous le regard implacable qu’elle lui asséna. Il reporta son attention sur la Yiga. Elle le toisait d’un air de défi, mais il pouvait clairement voir la peur au fond de ses yeux. Il déglutit, essayant de refouler le sentiment horrifié qui gonflait dans sa gorge. 

Il sentit sa main recommencer à trembler. Il tenait toujours l'Épée et serra son poing autour du pommeau pour se contrôler. La lumière qui enrobait la lame lui parut soudain plus intense. La chaleur qui en émanait sembla infuser en lui, aussi douce qu’une voix rassurante, et lui offrit le courage qui lui manquait. 

- Hylia ne m’a pas confié son Épée pour exécuter une personne désarmée, parvint-il à articuler en rendant à Impa son regard inflexible. 

Impa resta un instant sans voix. Puis elle fronça les sourcils et son regard devint glacé. D’un mouvement brutal, elle saisit la Yiga par le bras, la tira pour l’obliger à se lever, et plaça sa propre dague entre ses mains. 

- Dans ce cas, bats-toi, asséna-t-elle à l’adresse du chevalier. 

Elle bondit pour se placer à distance et intima aux trois autres Sheikah d’en faire autant. Estomaqué, Link se retrouva seul face à la Yiga chancelante. Il s’apprêtait à reculer, considérant qu’attaquer une personne aussi affaiblie ne valait pas mieux que de l’exécuter à genoux, mais son adversaire se jeta aussitôt sur lui avec toute la force de sa haine. Pris de court, il évita le coup de dague qui manqua de lui trancher la gorge et riposta aussitôt. La pointe de son arme rencontra la poitrine de la jeune femme et s’y enfonça. Il sentit les tissus de la peau et de la chair qui cédaient sans résistance sous la pression de sa lame. La Yiga laissa échapper un dernier coassement de douleur, adressa un regard horrifié à sa plaie, puis à l’enfant, et s’effondra dans l’herbe. 

Link retira l'Épée du corps. Il ne parvenait plus à en voir l’éclat à travers le sang qui maculait sa lame. 

***

- Incroyable… ! s’exclama Zelda en esquissant un sourire incrédule.

Une silhouette titanesque se découpait au fond du Lac du Barrage de l’Est, si monstrueuse qu’elle semblait obscurcir la surface de l’eau. De nombreux Zoras parcouraient les profondeurs à la nage, allant et venant pour inspecter la machine immergée. 

Zelda et Mipha restèrent un moment sur leur promontoire pour contempler cette vue époustouflante. Puis elles descendirent pour rejoindre les architectes Sheikah qui parlaient avec animation sur la berge. 

- Il nous faut plus de détails sur la structure de la machine ! s’exclama Pru’ha en inspectant le papier que venait de lui donner un plongeur Zora. 

- N’y a-t-il vraiment aucun moyen d’aller l’inspecter nous-même ? grogna Faras. 

- Sauf votre respect, à moins que vous appreniez à tenir en apnée plusieurs dizaines de minutes, vous aurez bien du mal à voir quoi que ce soit de la machine, répondit le dignitaire Zora qui les accompagnait. Tout ce que nous pouvons vous fournir, ce sont les notes et les dessins des plongeurs qui observent la structure. 

- Comment pouvons-nous effectuer notre travail dans ces conditions ? se lamenta Faras en levant théâtralement les bras au ciel.

- Faras ? Pru'ha ? Est-ce que tout se passe bien ?

Les deux jeunes ingénieurs se tournèrent vers la princesse avec une expression de surprise.

- Princesse ? Ne devriez-vous pas être en train de méditer à la cascade de Sera ?

Zelda rougit. Mipha prit la parole à sa place :

- La prêtresse royale a fait de grands progrès ce matin, alors j'ai insisté pour qu'elle s'accorde une pause et vienne voir votre travail.

Faras se gratta le menton et jeta un regard embarrassé à Pru'ha. Cette dernière soupira et dit à son collègue :

- Pourquoi pas, après tout ? La princesse a souvent une excellente intuition en ce qui concerne les antiques technologies Sheikah. 

Elle tendit à Zelda la liasse de documents qu'elle tenait dans ses bras.

- Comme la machine est immergée au fond du lac, nous ne pouvons pas la voir, encore moins l'explorer, expliqua-t-elle. Oui, l'explorer, car apparemment c'est un véritable monument, avec des couloirs et des pièces à l'intérieur. Bref, les Zoras s'occupent de l'inspection puis rédigent ces rapports pour que nous puissions travailler à partir de leurs observations. Mais je trouve cela très insuffisant pour nous prononcer sur l'origine de la machine, et encore plus sur la façon de la remettre en état de marche…

Zelda feuilleta la pile de manuscrits que lui avait confiée Pru'ha. Les Zoras avaient dessiné de nombreuses illustrations détaillées sur lesquelles figuraient le plan de salles monumentales et le schéma de mécanismes complexes.

- L'échelle est-elle correcte ? demanda la princesse en écarquillant les yeux.

- Ils nous l'ont garanti, acquiesça Faras.

- Mais… c'est absolument gigantesque ! On dirait un véritable palais ! Est-on sûr que cette chose peut se mouvoir ?

- Il y a des mécanismes de motricité, regardez la trente-deuxième page. 

- C’est fabuleux, murmura Zelda en plongeant davantage le nez dans la documentation.

Elle s'assit dans l'herbe et se plongea dans sa lecture. Faras et Pru'ha échangèrent un regard, puis s'installèrent de part et d’autre d'elle pour lire par-dessus son épaule. Mipha sourit. Elle s'éloigna de quelques pas, lance à la main, et conversa à voix basse avec les Zoras dont le visage émergeait de ci, de là, à la surface de l’eau pour la saluer.

Zelda lut attentivement chaque ligne, examina méticuleusement chaque schéma, fronçant parfois les sourcils ou hochant la tête d’un air pensif. Puis, lorsqu’elle atteignit la dernière page, elle écarquilla les yeux et bondit sur ses pieds, faisant sursauter Pru’ha et Faras.

- Mais… mais c’est… balbutia-t-elle 

- Vous avez trouvé quelque chose, Altesse ?

- Je ne suis pas sûre, répondit Zelda, je ne voudrais pas dire de bêtise, mais… 

Elle inspecta encore attentivement la dernière page, sur laquelle figurait un dessin représentant l’apparence extérieure de la machine. Cette dernière ressemblait à une immense créature quadrupède dont la tête était prolongée par une longue trompe articulée. Cette illustration lui semblait terriblement familière. 

Elle se tourna vers la princesse Zora.

- Mipha, combien de temps faut-il à un de vos messagers pour faire l’aller-retour au château d’Hyrule ? 

- Une journée environ. 

- J’aimerais envoyer une lettre à mon père dès aujourd’hui. Est-ce possible ?

- Evidemment, sourit Mipha. J’enverrai notre messager le plus rapide. Si tout se passe bien, il devrait être de retour demain après-midi.

- Merci, Mipha, sourit Zelda. 

Pru’ha, Faras et Mipha laissèrent Zelda rédiger sa lettre sans poser de question. Puis, lorsque la princesse glissa son mot dans la boîte hermétique prévue pour le voyage sous-marin, Pru’ha se risqua à l’interroger. 

- Princesse, de quoi s’agit-il ? 

- Je ne veux pas vous donner de faux espoirs en disant n’importe quoi, j’aimerais attendre d’en avoir la certitude. 

- Votre altesse, toute hypothèse est bonne à prendre.

Zelda sourit, contenant à grand peine son enthousiasme.

- Je crois que je sais ce qui dort au fond du lac. 

***

Assis dans l’herbe contre la falaise, Link achevait de nettoyer la Lame Purificatrice du sang qui la maculait. Le fracas de la cascade de Sera continuait de rugir au loin. L’air fraîchissait, et le chant joyeux des oiseaux faiblissait au profit de celui des grillons. L’enfant jeta un coup d'œil sur le ciel assombri, surpris de découvrir la tombée du soir. 

Impa émergea de l’obscurité. Désormais habitué à la voir se glisser dans son champ de vision sans qu’aucun bruit ne précède son arrivée, Link garda les yeux baissés sur son arme, qu’il frottait obstinément de son torchon imbibé de sang. La Sheikah s’assit à côté de lui et laissa échapper un soupir éreinté. 

- Tout est réglé. Mes agents se sont occupé des corps. Je pense qu’il n’y aura pas plus de traîtres dans l’escorte, mais restons vigilants. 

- Et le prince Sidon ? 

- En sécurité dans la chambre de la Reine Midoré. Il n’a jamais été enlevé. C’était un mensonge pour te déstabiliser. 

Link porta sa main à sa gorge douloureuse et fronça les sourcils. Il se sentit idiot de s’être laissé berner. Son hésitation lui avait presque coûté la vie, ainsi que celle de la princesse. Il continua d’astiquer la lame de son épée, le regard absent. Impa resta silencieuse quelques minutes. Puis elle saisit le poignet de Link pour interrompre son geste. 

- Ça fait longtemps qu’il n’y a plus de sang sur la lame, tu sais. 

L’enfant revint à lui et inspecta son arme, qu’il découvrit immaculée. Surpris, il posa le torchon souillé dans l’herbe. Impa soupira.

- Link, je suis désolée de t’avoir obligé à la tuer. Je sais que c’était dur, c’était atroce. Mais tu dois être capable de défendre ta vie au dépend de celle de tes ennemis. 

- Je sais, dit-il d’une petite voix. Je suis un piètre chevalier. 

- Bien sûr que non. C’est justement parce que tu es digne de ton titre que tu as eu tant de mal.

Il leva vers elle un regard circonspect. Elle sortit sa dague à lame courbe et la fit virevolter entre ses doigts.

- Nous, dans les services secrets, nous n’avons aucun scrupule à égorger un ennemi par derrière ou à lui planter un poignard dans le dos, dit-elle. La discrétion est notre atout le plus précieux. Mais vous, les chevaliers, on vous abreuve de récits sur la noblesse, la loyauté, l’honneur. Alors quand tu as eu ta lame sous la gorge d’un homme désarmé, ou que je t’ai demandé d’abattre une blessée agenouillée, ça t’a paru impossible. Mais ensuite, tu n’as pas hésité lorsque tu t’es retrouvé en situation de combat. 

Elle cessa de jouer avec sa dague et posa une main sur l’épaule de l’enfant.

- C’était très honorable. Mais il y a des situations où cette noblesse coûterait très cher. Ta vie et celle de la princesse valent plus que toutes les autres.

- Je n’aime pas cette idée. 

- Ça ne fait pas de vous de meilleures personnes, répliqua Impa. Mais si l’un de vous venait à mourir, tout le royaume serait condamné à périr dans d’atroces souffrances. Alors oui, je préfère te voir survivre en tuant lâchement un ennemi, plutôt que mourir héroïquement. 

Link resta muet. Au fond, il savait qu’Impa avait raison, mais cette idée le glaçait. Il baissa les yeux sur l'Épée et murmura :

- Comment fais-tu, Impa ?

- Pour quoi ?

- Pour être aussi imperturbable. On croirait que rien ne te fait peur. 

- Ha ! En voilà une drôle d’idée. 

- Alors, de quoi as-tu peur ?

La lieutenante des services secrets resta muette et fixa longuement l’enfant de son regard insondable. Il songea qu’il était peut-être allé trop loin et s’apprêtait à s’excuser, lorsqu’elle lui répondit à voix basse :

- J’ai peur de beaucoup de choses, petit chevalier. J’ai juste appris à refouler mes émotions quand je dois faire mon travail. 

Son regard se perdit dans le vague. Elle fronça les sourcils et enchaîna :

- Mais ça aussi, ça me terrifie. Tu vois, j’ai peur qu’un jour, tuer m’indiffère. Il y a une grande différence entre être forte et être insensible. J’espère que je ressentirai toujours de l’effroi quand je dois ôter la vie d’une personne. Et je te le souhaite aussi. Ça ne rend pas ta tâche plus simple, mais ça te permet de savoir que tu ne t’es pas égaré. 

Elle se tourna vers lui. Il la fixait intensément, captivé de l’entendre se confier à lui. Pour la première fois, il pouvait apercevoir l’adolescente dissimulée sous le masque de l’implacable lieutenante des services secrets. 

- Toi aussi, tu as commencé à ravaler tes émotions, dit-elle. J’ai remarqué ce faux air impassible que tu portes sur ton visage la majorité du temps. Il est étonnamment convaincant. 

Il déglutit. Le regard et le ton d’Impa n’avaient rien d’accusateur, mais cette observation le perturba. 

- C’est juste que… commença-t-il d’une petite voix. Je sais que tout le royaume a été surpris d’apprendre que je suis l’envoyé d’Hylia. On attendait un chevalier aguerri, que la déesse aurait choisi pour sa force et ses faits d'armes héroïques. Je ne veux pas décevoir davantage en montrant mes doutes ou ma peur. 

Il serra les dents. Formuler à voix haute cette pensée qui le hantait depuis qu’il avait retiré l'Épée de son socle ne le soulagea pas. Il sentit distinctement les racines que son anxiété avait profondément ancrées dans son ventre.

- Link.

La voix d’Impa était étonnamment douce. 

- Tu as déjà largement prouvé qu’Hylia ne s’est pas trompée. 

Link garda les yeux fixés sur ses genoux. 

- Allez, ne fais pas cette tête, dit-elle avec chaleur en lui poussant l’épaule. Tu as mené à bien ta première mission de chevalier. Tu peux être fier de toi. 

Il acquiesça sans conviction. Impa ajouta : 

- La princesse est en sécurité maintenant. C’est ce qui compte, non ? 

Cette fois, il parvint à lui adresser un sourire, qu’elle lui rendit. 

- Regarde là-haut, chuchota-t-elle en lui adressant un clin d'œil. 

Elle leva les yeux vers les premières étoiles qui apparaissent dans le ciel vespéral, laissant un sourire rêveur courber ses lèvres. Link suivit son regard et ils demeurèrent un long moment assis adossés à la falaise, à admirer silencieusement la voûte céleste. Peu à peu, le poids qui comprimait son cœur s’allégea et Link parvint à respirer plus librement. Il se laissa finalement glisser dans l’herbe et Impa s’allongea à son tour, le visage levé vers les étoiles. 

- Tout de même, soupira-t-elle après un long moment, six Yiga infiltrés dans une escorte de vingt guerriers ! Je crois qu'il est temps que je recommande au roi de nommer un chevalier servant pour la princesse.

- Un chevalier servant ? répéta Link avec curiosité.

- Il s'agit de confier la garde rapprochée de la princesse à un chevalier ou une chevaleresse de confiance, qui la suivrait dans tous ses déplacements, jour et nuit. 

- Comment le roi choisit-il ?

- En général, de nombreux chevaliers candidatent, car c'est un rôle extrêmement prestigieux. Le roi n'a qu'à choisir parmi les volontaires. Mais nous devrons être très prudents et choisir quelqu’un de confiance. Il ne faudrait pas confier cette tâche à un Yiga déguisé…

- Tu penses que je pourrais candidater ?

Impa adressa un regard curieux à Link, qui fit de son mieux pour garder un visage neutre.

- Tu voudrais devenir le chevalier servant de Zelda ?

- Oui.

- Ton rôle d'élu d'Hylia te donne déjà bien assez à faire, tu ne crois pas ?

Link haussa les épaules 

- Mon destin est lié à celui de la princesse. Ça ne me paraît pas contradictoire d'être chargé de sa sécurité.

Impa observa un silence pensif 

- Tu n'as pas tort, dit-elle après un moment de réflexion. Mais je dois te prévenir : Zelda sera certainement très hostile envers son chevalier servant. Elle a toujours vu cette possibilité comme une menace et une punition. 

- Pourquoi ?

- Ses statuts de prêtresse royale, d'unique héritière du trône et de détentrice du pouvoir du Sceau font d'elle la personne la plus précieuse du royaume. Elle a toujours été surprotégée et n'a jamais joui d'une véritable liberté. Par ailleurs, elle n'a pas été mise au courant des diverses tentatives d'assassinat dont elle a été la cible depuis sa naissance. Elle n'a donc qu'une idée vague des menaces qui la guettent. Elle ne voit pas vraiment l'intérêt d'un chevalier servant, à part d'avoir une entrave supplémentaire au peu de liberté dont elle dispose.

- Elle mérite d'être avertie du danger, remarqua Link. La princesse Zelda est intelligente, pourquoi lui cacher des informations aussi importantes ? 

- Le roi craint que se savoir en danger de mort l’angoisse et nuise à l'éveil du pouvoir du Sceau. Il estime qu'il est primordial que Zelda puisse prier la déesse Hylia sereinement.

- Mais c'est peut-être justement parce qu'elle est surprotégée et enfermée qu'elle n'arrive pas à éveiller son pouvoir.

- Tu oses mettre en doute la pertinence des décisions de ton roi ? remarqua Impa avec un froncement de sourcils sévère mais un sourire amusé.

Link se renfrogna. Il aurait voulu répondre "non" mais son vœu de vérité lui tenait trop à cœur. Le visage d'Impa s'adoucit.

- Je te ferai signe si le roi décide de nommer un chevalier servant à la princesse, dit-elle finalement. Si tu candidates, j'intercèderai en ta faveur. En y réfléchissant, je pense que tu serais parfait pour ce rôle. 

Link glissa un regard vers la lieutenante des services secrets.

- Même si… même si j’ai eu du mal à tuer les Yigas ?

- Je te l’ai dit, répondit-elle en haussant les épaules. Je ne crois pas qu’être indifférent à la mort est une qualité. Ça ne t’empêchera pas de remplir ton rôle, le moment venu. 

Il reporta son regard sur les étoiles, sentant la pointe de ses oreilles rougir. 

- Merci, Impa, dit-il en esquissant un sourire reconnaissant.

- Ne me remercie pas encore. La décision finale reviendra au roi.