Link entra dans la salle d’entraînement de l’école de chevalerie, où le garde à qui il avait remis la lettre du roi lui avait demandé d’attendre les directives. Les nombreux apprentis qui y discutaient avec enthousiasme se turent lorsqu’il pénétra dans la pièce. Il sentit que tous les yeux de cette petite foule d’enfants, d’adolescents et d’adolescentes se braquaient sur lui. Il s'appliqua à ne croiser aucun regard aussi longtemps que le silence dura. Puis quelques chuchotements et quelques ricanements retentirent ça et là et Link se risqua à jeter des coups d'œil aux élèves tandis que les conversations reprenaient à voix basses autour de lui. Il vit des enfants qui semblaient moins âgés que lui, et des adolescents de toutes les tailles dont certains avaient probablement l’âge d’être adoubé. Toutes et tous portaient la tenue des apprentis de la chevalerie, dont la qualité semblait bien supérieure à la tunique rapiécée et au pantalon de toile grossière dont les apprentis soldats se vêtissaient pour s'entraîner. Link croisa à plusieurs reprises des regards curieux, ébahis ou moqueurs. Il détourna systématiquement les yeux avec malaise.
- C’est lui, le héros ? entendit-il quelqu’un chuchoter
- Mais non, c’est un gamin.
- C’est un domestique, ça, non ?
Link évita soigneusement le moindre contact avec les individus qui occupaient la pièce. Son ventre était glacé d'appréhension mais il s'appliqua à maintenir une expression indifférente sur son visage. Il s’adonna à l’observation de la salle d'entraînement, afin de détourner son attention des chuchotements qui saturaient ses tympans. Il se trouvait dans une pièce circulaire en pierre pourvue de vastes fenêtres et de deux portes, dont une menait vers l’intérieur du château et l’autre vers une cour encerclée de murailles. De nombreuses armes d’entraînement en bois étaient entreposées dans des râteliers, tandis que des épées, lances et espadons en métal ornaient murs. Il repéra les boucliers et les arcs du coin de l'œil : il ignorait tout de l’épreuve à laquelle il allait être soumis, et il préférait s’assurer de repérer toutes les armes à sa disposition.
Lorsqu’il entendit le silence s’abattre à nouveau dans la pièce bruyante, il détourna les yeux des boucliers dont il examinait les motifs peints, et découvrit une femme en armure de chevaleresse debout au milieu de la pièce. Elle était si grande et musculeuse qu’il manqua de la confondre avec une Gerudo, mais sa peau très blanche le démentait, de même que sa taille qui, bien qu’impressionnante pour une hylienne, n’équivalait pas celle des femmes du peuple du désert.
Elle croisa les bras et posa sur lui un regard dur.
- Tu es Link ?
Il acquiesça en silence.
- Je suis Bathylle, la maîtresse d’armes de l’école de chevalerie. On m’a laissé un temps très court pour te préparer une épreuve, alors je n’ai pas fait dans la dentelle. Tu vas affronter tous mes apprentis un par un, du plus médiocre au plus doué, jusqu’à ce que tu sois vaincu. La règle est simple : tu te bats avec une arme en bois et tu l'emportes quand tu parviens à asséner un coup qui aurait été létal avec une arme en métal. Choisis ton équipement et rejoins-nous dans la cour. Ne traîne pas : le roi nous attend.
L’ensemble des apprentis suivit la maîtresse d’armes qui partit aussitôt dans la cour d’entrainement, laissant Link seul dans la salle. Lorsque le dernier adolescent eut quitté la pièce, il s’autorisa à soupirer de soulagement. Cette épreuve s’avérait moins terrible que tout ce qu’il avait pu imaginer. Les apprentis chevaliers étaient certes nombreux et probablement plus habiles que les apprentis soldats ; mais une série de duels lui paraissait bien moins insurmontable que des épreuves d’érudition ou d’éloquence auxquelles les chevaliers et chevaleresses, parangons de la noblesse, devaient également se montrer compétents. Il avait craint de devoir faire étalage de sa naissance médiocre devant le roi et sa fille et était soulagé d’être mis au défi sur un terrain familier. Il espérait battre un nombre suffisant d’aspirants chevaliers pour satisfaire les attentes du monarque, et, surtout, pour que la princesse Zelda le juge digne de combattre à ses côtés.
Cela en tête, il s’arma d’une simple épée d'entraînement en bois et endossa un bouclier peint à l’effigie d’une tête de cerf. Il avait choisi son équipement en fonction de sa légèreté, privilégiant la maniabilité à la brutalité. Une fois satisfait de son attirail, il ferma les yeux, inspira jusqu’à saturer ses poumons, expira lentement. Il rouvrit les paupières, fronça les sourcils avec détermination, franchit la porte et pénétra dans la cour.
Les apprentis formaient un cercle autour de l’espace d'entraînement. Link constata qu’ils semblaient ordonnés selon leur âge et leur taille, de sorte que le cercle s’ouvrait sur le plus petit enfant et se fermait sur l’adolescent plus grand. Certains portaient des épées similaires à la sienne, d’autres des lances, et certains avaient même choisi des espadons qui, faits de bois comme toutes les armes d’entraînement, ressemblaient presque à des gourdins.
Continuant à évaluer attentivement ses futurs adversaires, Link rejoignit Bathylle au centre de la cour.
- Salue le roi et sa cour, lui intima-t-elle à voix basse en lui désignant le souverain d’un mouvement du menton.
Link leva les yeux et aperçut une foule assise sur des sièges installés au sommet d’une muraille surplombant la cour d’entraînement. Il distingua immédiatement le roi Rhoam Bosphoramus Hyrule, siégeant sur le fauteuil central, et, à ses côtés, la princesse Zelda, qui semblait discrètement tendre le cou pour mieux le voir. Il serra les lèvres. Il ne pensait pas que se battre devant une audience provoquerait une telle montée de stress. Ignorant tant bien que mal son estomac retourné, il s’inclina très bas devant les deux membres de la famille royale.
Bathylle présenta Link à la cour et annonça les règles de l’épreuve. Le concerné se redressa, écoutant la maîtresse d’armes d’une oreille distraite. Il ne pouvait pas détacher ses yeux de ceux de la princesse. Elle soutenait son regard et lui souriait avec bienveillance ; il avait l’impression de l’entendre l’encourager. Il se remémora les paroles du roi : tu ne seras pas seul dans ta quête. Ton destin est lié à celui de ma fille. Ensemble, vous vaincrez Ganon et scellerez le fléau. Le royaume d'Hyrule place tous ses espoirs en vous.
Il n’avait pas désiré cette responsabilité écrasante, mais, désormais, il ne voulait pas déshonorer la princesse en se montrant indigne de porter le même titre qu’elle. Il aurait voulu lui dire qu’il allait faire de son mieux, qu’il ne jetterait pas l'opprobre sur le nom d’élu qu’ils partageaient. Il se contenta de la fixer intensément, le visage déterminé. Il espérait qu’elle comprenait ce qu’il ressentait.
Bathylle appela son premier adversaire. L’enfant le plus petit du cercle fit quelques pas en avant. Il s’agissait d’un garçon tout au plus âgé de sept ans, qui tenait dans ses mains une épée en bois de taille réduite. Il semblait tétanisé. Lorsque la maîtresse d’armes annonça le début du combat, Link lui asséna simplement un coup de la tranche de son arme dans le creux des genoux. Il n’y appliqua aucune force, se contentant de lui faire perdre l’équilibre. L’enfant tomba à plat ventre sur le gravier, Link posa la pointe de son épée sous sa gorge, et ce fut fini.
Il entendit des voix familières pousser des acclamations mêlées de rires. Surpris, il leva la tête : sur la muraille opposée à celle où la noblesse avait pris place, une petite foule d’enfants et d’adolescents s’était amassée et lui criait des encouragements. Il reconnut ses compagnons de l’école militaire. Le maître d’armes était également présent et essayait de faire taire ses élèves. Link aperçut Neven qui sautait sur place et criait de toutes ses forces :
- Vas-y Link, botte le cul de ces gosses d’aristo ! ça leur passera l’envie de péter plus haut que leur trou de b…
Link vit distinctement le maître d’armes lui donner une tape à l’arrière du crâne et la réprimander sévèrement. Il laissa échapper un sourire et reporta son attention sur le nouvel opposant qui venait de sortir du cercle pour l’affronter.
Plusieurs enfants ayant tout juste commencé leurs classes se succédèrent face à lui. Il enchaîna sans effort ces piètres adversaires, n’ayant recours ni à la violence ni à la force. Il jouait simplement avec leur point d’équilibre pour les faire chuter et poser tranquillement la pointe de son arme sur un point vital. Il supposait que ces concurrents factices n’étaient pas destinés à le battre, mais à entamer son énergie avant qu’il ne se retrouve face à des adversaires plus aguerris ; aussi prit-il soin de ne pas faire de mouvement superflu et d’économiser ses forces. Il voyait cependant le potentiel de chacun d’eux et s’appliquait à ne pas leur faire mal et à ne pas les humilier. Il prenait systématiquement le temps d’aider les enfants à se relever et leur adressait un hochement de tête encourageant. Certains lui adressèrent un sourire avant de rejoindre le banc des vaincus.
Link vainquit ainsi sans effort ses cadets, les enfants de son âge, et quelques-uns de ses aînés. Le premier adversaire face auquel il dû affûter sa concentration fut une adolescente de treize ans armée d’un espadon et d’un bouclier. Elle manquait de technique, mais elle compensait cette lacune par une force et une énergie hargneuse qui rendaient ses coups explosifs. Elle se jeta sur lui et il esquiva son coup brutal d’un saut latéral. Il visa ses genoux, de la même manière qu’il avait vaincu la majorité de ses adversaires précédents, mais il comprit que cela l’avait rendu prévisible ; elle para le coup en abaissant son bouclier et en profita pour essayer d’atteindre son ouverture. Il esquiva d’un bond en arrière et lui asséna dans la foulée un coup d’épée droit dans l’estomac. Elle lâcha une exclamation étouffée et s'effondra au sol en se tenant le ventre, le souffle coupé. L’épée d’entrainement qu’il utilisait avait beau être en bois et par conséquent sans tranchant, un coup bien placé pouvait casser des côtes ou assommer un rival. Link espéra qu’il ne lui avait pas fait trop mal. Elle se releva en haletant et laissa sa place à l’adversaire suivant.
Ces échanges simples l’échauffèrent et dénouèrent son estomac jusqu’alors tordu d’appréhension. Peu à peu, ses adversaires devinrent plus redoutables. Il commença à prendre des coups, à devoir redoubler d’adresse pour en venir à bout, mais cela lui permit d’oublier progressivement son public et l’enjeu de ces combats ; son esprit tout entier fut occupé à évaluer la posture de chaque nouvel opposant, ses mouvements, sa technique, son point d’équilibre. Les échanges devenaient plus complexes, et à mesure que ses adversaires gagnaient en niveau, à mesure qu’il encaissait des coups, la concentration de Link s’affutait et monopolisait chaque fibre de son corps, effaçant à ses sens l’extérieur de l’arène.
Ainsi, tandis qu’il abattait son premier adversaire de quinze ans, ses oreilles demeurèrent sourdes au bruit croissant des acclamations qui se disputaient aux exclamations sidérées de ses spectateurs.
***
Les doigts de Zelda avaient blanchi tant elle serrait fort l’accoudoir de son siège dans sa poigne. Devant ses yeux écarquillés, un frêle enfant de dix ans triomphait d’un apprenti chevalier de deux fois sa taille et trois fois son poids. Sa technique était spectaculaire : il compensait sa petite stature et la différence de puissance par une agilité et une habileté vertigineuses. Il retournait la force de son adversaire contre lui, jouait avec ses maladresses, profitait que son opposant soit emporté par son élan pour placer un coup à un timing parfait, à un point précis qui coupait le souffle ou faisait perdre l’équilibre. Une telle précision nécessitait des années d'entraînement et même certains soldats aguerris n’atteignaient pas ce niveau ; relevait-elle de l’instinct chez cet enfant ?
- Fabuleux, souffla son père à côté d’elle, cet enfant est un véritable prodige. Un merveilleux cadeau d’Hylia.
- Nulle surprise de la part du fils de Garen, affirma le comte qui avait exprimé ses réserves vis-à-vis du garçon avant l’épreuve. Il est l’un des seuls chevaliers à avoir abattu un Lynel, monseigneur. Son fils doit avoir hérité de sa férocité au combat.
- Tout de même, maugréa un duc, ça me fait du mal de voir mon fils, qui doit être adoubé la semaine prochaine, se faire battre ainsi par un enfant de dix ans…
- Il est déjà digne de l’Epée des Légendes, continua le roi sans quitter le combat des yeux, il est encore trop petit pour la porter, mais dès qu’il grandira un peu, il aura déjà le niveau de la manier. Voilà pourquoi Hylia la lui a déjà confiée.
Zelda sentait une bile acide lui brûler la gorge et un froid solide s'installer dans son ventre. Elle avait envie de pleurer mais elle serra les lèvres de toutes ses forces. Elle ne comprenait pas sa propre réaction ; n’aurait-elle pas dû être heureuse que le héros envoyé d’Hylia soit un tel génie ? Sûrement allait-il être un compagnon parfait pour accomplir leur quête ?
Mais elle ne put s’empêcher de repenser à chaque moment où elle l’avait croisé. Il l’avait dévisagée éhontément. Il ne lui avait pas rendu ses sourires. Il ne l’avait pas remerciée de ses encouragements. Il n’avait même pas daigné lui adresser la parole. Elle avait mis cela sur le compte de l’angoisse. Elle était alors certaine qu’il en ressentait. Après tout, elle-même vivait dans l’appréhension depuis son plus jeune âge ; porter le destin d’un royaume sur ses épaules était terrifiant. Elle avait spontanément supposé que découvrir son statut d’élu des déesses avait été pour lui une très grande source d’anxiété. Mais un tel prodige ressentait-il la peur ? Peut-être était-ce le mépris, et non l’angoisse, qui l’avait maintenu dans le silence lors de leurs rencontres. Après tout, à dix ans, il avait déjà le niveau de manier l’Épée des Légendes. Elle, à qui la naissance promettait un héritage divin, n’arrivait pas à invoquer le sceau, après des années de prières acharnées. Aux yeux de ce petit génie, elle devait paraître épouvantablement médiocre.
Elle se sentit affreusement stupide d’avoir vu en lui un compagnon, d’avoir imaginé leurs progrès communs, leurs encouragements mutuels, leur complicité et leur soutien dans ce destin qui les liait. Il montrait déjà toutes les prédispositions de son glorieux avenir. Elle n’allait être pour lui qu’un boulet dont il serait contraint d’attendre les progrès.
Elle serra ses paupières avec force pour refouler ses larmes. Elle avait encore plusieurs années devant elle. Elle allait redoubler d’efforts. Elle allait méditer dans l’eau glacée les sources sacrées. Elle allait prier Hylia de toute son âme, de tout son être, tous les jours, avec ferveur.
Peut-être qu’un jour, la déesse lui répondrait. Et peut-être que sa réponse guérirait ce sentiment asphyxiant de peur. De médiocrité. De solitude.
Pitié, Hylia, pria-t-elle en silence. Ne m’abandonnez pas.
***
Pantelant, Link retourna au centre de la cour, prêt à faire face à un nouvel adversaire. Il ne lui restait plus que trois opposants à vaincre, mais ses muscles assaillis de crampes faiblissaient. Au fur et à mesure de ses combats avec les apprentis de haut niveau, il avait sauté, couru, roulé, frappé, paré, enduré des coups. Des hématomes apparaissaient sur ses bras et ses côtes meurtries. Jamais il n’avait mené une série de combats aussi intense ; son endurance atteignait sa limite. Il doutait de pouvoir remporter un affrontement supplémentaire, notamment contre l’un des trois élèves les plus talentueux de l’école de chevalerie.
Cependant, il exultait. Il avait vaincu des dizaines d’apprenties chevaleresses et d’apprentis chevaliers, dont certains devaient bientôt être adoubés. Sûrement le roi et la maîtresse d’armes n’envisageaient pas qu’il tiendrait aussi longtemps. Il espérait avoir répondu à leurs attentes, quelle que soit l’issue de ces trois derniers combats ; et, surtout, il espérait avoir prouvé sa valeur aux yeux de la princesse.
Le nouvel opposant qui fut appelé par Bathylle était un adolescent de seize ans armé d’une lance. Sa taille et sa musculature n’avaient rien d’impressionnant, mais Link était le mieux placé pour savoir que cela ne permettait pas d’évaluer à priori ses compétences en combat. L’adolescent entra nonchalamment dans le cercle formé par les apprentis vaincus et lui fit face en arborant un sourire narquois. Link grimaça ; sa respiration sifflait et il sentait ses jambes faiblir. Si cet adolescent était le troisième apprenti chevalier le plus talentueux du lot, Link n’avait probablement aucune chance de le vaincre dans cet état.
L’enfant leva tout de même sa garde et se mit en position pour affronter son adversaire. Jusqu’au bout, se dit-il résolument.
Lorsque la maîtresse d’armes annonça le début du combat, l’adolescent se campa sur ses appuis et abaissa sa lance dans la direction de son opposant. Cette arme longue lui conférait une très grande allonge. Cela le rendait difficile à approcher, et presque impossible à toucher à l’aide d’une épée courte. Link leva son bouclier et commença à tourner autour de son adversaire, restant prudemment hors de portée de la lance. Tenu à distance par la pointe qui suivait ses déplacements, il évalua ses options. Son état de fatigue ne lui permettait pas de compter sur sa rapidité pour contourner la lance et se précipiter sur son adversaire ; de même, ses muscles affaiblis n’avaient sans doute plus la force de le faire bondir pour éviter les coups. Si cet apprenti était doué au maniement de la lance - et Link n’en doutait pas au vu de sa posture précise et assurée - il pouvait tirer parti de la légèreté de l’arme pour enchaîner les coups très rapidement. Link n’aurait pas l’énergie pour tout éviter. La meilleure solution restait de parer. Utiliser son bouclier comme arme offensive pouvait être une option.
Pour tester son idée, Link s’approcha suffisamment pour être à portée de la lance et donna un coup de bouclier dans la pointe. L’arme cilla un peu, mais son adversaire resta stable sur ses appuis et lui rendit son coup, frappant dans le bouclier d’un geste sec et brutal. Link encaissa le choc et fit un pas en arrière. Il sentit ses jambes trembler. Il serra les dents et repartit à l’offensive. Cette fois, il mit tout son poids dans le coup qu’il porta à la lance à l’aide de son bouclier et enchaîna sur un coup latéral pour détourner l’arme de sa trajectoire. Cela sembla fonctionner, la pointe de la lance dévia vers sol, et Link en profita pour se précipiter vers son adversaire, bouclier baissé et épée brandie. Cependant, l’adolescent sourit, et, avec une souplesse et une brutalité que l’enfant ne lui avait pas soupçonnées, il leva la jambe et lui asséna un coup de pied fulgurant dans le thorax. Link fut projeté en arrière et atterrit lourdement sur le gravier. Sonné, incapable de respirer, il roula sur le flanc et essaya de se redresser sur ses coudes, ahanant en quête d’air.
Du coin de l'œil, il vit son adversaire l’approcher. Link voulut se redresser et lui faire face, mais la douleur explosive du coup l’empêchait de reprendre son souffle et il resta pitoyablement prostré sur le sol, le front contre le gravier.
- Alors c’est ça, le héros envoyé des déesses ? l’entendit-il clamer narquoisement, Hylia aurait mieux fait de me choisir.
- ça fait une heure qu’il se bat, connard ! hurla la voix de Neven. Il n’aurait fait qu’une bouchée de ton cul !
Des acclamations mêlées de huées retentirent dans toute la cour. L’apprenti chevalier ricana et tourna autour de l’enfant anhélant.
Link avait envie de vomir. Le manque d’oxygène brouillait sa vue et perturbait ses sens. Il distinguait dans sa vision périphérique trouble les chausses de son adversaire qui marchait autour de lui. Il s’attendait à recevoir un coup de lance dans le dos ou dans les côtes à tout moment, et il serra les paupières pour encaisser cet ultime choc qui signait sa défaite.
Mais aucune douleur ne vint. Il entendait son adversaire continuer à fanfaronner et à accueillir les clameurs et les huées. Pensait-il avoir gagné ? Le combat ne devait pas se terminer tant qu’un coup létal n’avait pas été administré. D’ailleurs, il n’entendit pas la maitresse d’armes proclamer la fin de l’échange.
Ce répit inespéré permit à Link de récupérer son souffle. Son esprit s’éclaircit lorsque l’oxygène retrouva la voie de ses poumons. Sans bouger un muscle afin de ne pas attirer l’attention, il chercha ses armes du regard. Il avait lâché le bouclier sous le choc du coup de pied, mais, par miracle, il avait gardé son emprise sur l’épée jusqu’à ce qu’il percute le sol. Elle gisait à portée de son bras.
Link s’accorda quelques inspirations supplémentaires. Puis il se redressa brusquement, saisit son épée et se jeta sur les jambes de son adversaire. Ce dernier, pris par surprise, perdit l’équilibre et s’écrasa dans le gravier. Dans un ultime effort, Link bondit en poussant un cri et abattit de toutes ses forces le pommeau de son épée sur la tempe de l’adolescent. Ce dernier gémit et enfouit sa tête dans ses mains, sonné par le choc. Link se releva, vacillant sur ses jambes, et posa la tranche de son épée sur la gorge de son adversaire.
Un silence stupéfait engloutit la cour. Puis la maîtresse d’armes annonça la fin du combat, et une avalanche de clameurs s’abattit sur le vainqueur. Ses camarades de l’école militaire hurlaient leur joie. La plupart des apprentis chevaliers l'acclamaient ou hochaient la tête avec admiration. Quelques nobles applaudissaient, la plupart le dévisageaient simplement avec des yeux écarquillés.
Pantelant, Link baissa son arme. Sa nausée ne le quittait pas, ni la douleur du coup qu’il avait encaissé dans l’estomac, et il sentit que ses jambes allaient se dérober sous son poids. Dans un ultime effort de volonté, il leva les yeux vers Zelda, et lorsqu’il croisa son regard, il brandit son épée dans sa direction. Affrontons le destin ensemble, pensa-t-il de tout son cœur.
Mais sa détermination se mua en confusion lorsqu’il vit la princesse détourner le regard avec une expression affligée.
Il n’eut cependant pas le temps de s’en inquiéter. Sa vision se brouilla subitement tandis que sa nausée et sa douleur franchissaient un nouveau seuil. Pris de vertiges, Link fit quelques pas pour retourner au centre de l’arène, puis vacilla et s’effondra sur le sol de la cour.