Huit, c'est trop

par L-Keriel

Et qu'en est-il du cas le plus perturbant, le cas Sleipnir ?

C'est une histoire... Comment dire... Différente ? Peu banale ? Oui. Je pense qu'on peut le dire.

Et bien c'était assez simple au début. Loki, nouvelle figure paternelle exemplaire d'Asgard—comprendre que ses enfants ne tentaient pas de faire la guerre, de tuer quelqu'un, de vider les stocks d'alcools, de prendre le contrôle de l'Univers, ce qui était un exploit dans cette cité— en bref, ils n'avaient pas le comportement de tout jeune homme asgardien, ni les envies de contrôle de leur père. En même temps, ils n'étaient pas humanoïdes... Et ils étaient calme et relativement obéissants, c'était déjà un bon début. Tout ça pour dire qu'après les premiers mois, très stressants pour Loki, tout allait mieux. Dorénavant, ils se débrouillaient seuls. Donc, leur père avait put reprendre joyeusement sa révolte d'adolescent. Et quoi de mieux que de faire le mur ? C'était classique mais efficace. C'était une excellente idée. Du moins, quand il l'avait eue, le dieu de la malice avait trouvé ceci particulièrement brillant. Il avait déchanté à son retour mais n'allons pas plus vite que la musique.

Prévoyant, il avait fait amener des stocks de nourriture, surtout de la viande rouge pour Fenrir, dans sa chambre pour que ses enfants survivent à son absence. Oui, c'était un ado rebelle mais papa poule quand même. En fait, il comptait aussi être un père exemplaire pour ensuite aller cracher à la figure d'Odin que lui au moins était un bon père. Cette vague de haine aurait probablement indigné sa mère qui l'aurait consigné une nouvelle fois dans sa chambre. Et provoquerait l'incompréhension de son frère. Mais peu importait, ça lui procurerait un plaisir immense.

Après avoir vérifié que ses deux monstres ne manqueraient de rien, Loki était sorti se balader de manière parfaitement "innocente". Marchant dans le palais, bras croisés dans le dos et tête en l'air, il était tombé sur Thor.

- Bonjour mon frère ! Comment vas-tu ?

Loki roula des yeux, pourquoi mais pourquoi devait-il tomber sur lui à chaque fois qu'il sortait ? Le palais était pourtant assez grand pour que deux personnes puissent ne jamais se croiser. À croire que c'était son destin de toujours croiser son frère, ou alors ce dernier le faisait exprès.

- Je suis occupé Thor.

- Je m'en doute mais je voulais te présenter quelqu'un...

Loki leva les yeux au ciel. Et c'est reparti, pensa-t-il. Ça faisait des années que le blond voulait lui présenter sa fameuse amie avec laquelle il s'entraînait depuis plusieurs siècles. Or, il se trouvait que le brun n'en avait strictement rien à faire.

- Je n'ai pas le temps, ni l'envie de rencontrer tes amis, mon frère.

- Mais elle...

- À plus tard Thor.

- Loki...

Le dieu l'ignora et repartit d'un pas vif sans se retourner, ne voyant pas la jeune asgardienne aux cheveux dorés qui arrivait aux côtés de son frère. Sa rencontre avec Thor lui avait au moins rappelé un détail. Il lui fallait trouver comment s'éloigner du palais sans que quelqu'un ne le reconnût. Magie, magie ! Il allait se transformer. Mais en quoi ? Telle était la question. Alors qui marmonnait dans sa, non, barbe pour réfléchir, il vit au loin passer le plus grand troupeau de chevaux de la cité, les chevaux de l'armée. Loki sourit et s'élança en changeant de forme, il copia l'armure des soldats asgardiens comme il l'avait déjà si souvent fait et se glissa parmi eux jusqu'à se rapprocher du troupeau. Les chevaux, agités, attendaient impatiemment qu'on les laissât partir gambader quelques jours dans les grandes plaines d'Asgard. Loki se glissa entre les animaux, flattant des encolures par-ci par-là. Il aimait énormément l'équitation et les chevaux. Alors que Thor s'entraînait au combat au sol, lui préférait monter et apprendre à lancer ses décharges magiques depuis le dos d'un équidé. À dire vrai, il n'avait pas vraiment besoin d'apprendre comment faire mais ça lui faisait une excuse pour monter à cheval un peu plus souvent. Quand il fut éloigné des soldats et parfaitement caché au milieu des montures, il changea de forme. Un cheval. Bof, il secoua sa crinière et tapa du sabot. Il y avait moyen de faire plus drôle. Aucun des soldats ne montait de pouliche alors s'il se transformait en jument... Il allait pouvoir faire ce qu'il voulait de tous ces mâles. Alors le cheval noir devient jument.

Loki hennit doucement et de nombreuses têtes se tournèrent vers lui. Trop facile ! Les chevaux commencèrent à s'approcher de lui, ou d'elle en l'occurrence. Le dieu de la malice releva la tête, cherchant la sortie. Quand il la trouva, il se mit en marche, les autres animaux le suivant. La jument accéléra et passa au trot, puis, elle sauta par-dessus la clôture qui n'était pas encore ouverte. La totalité du troupeau suivit l'exemple, sous les regards perplexes de leurs cavaliers. En général, les chevaux attendaient plus ou moins tranquillement qu'on leur ouvrât. Loki partit au galop, il était aux anges, faute de prendre le contrôle du peuple asgardien, il venait de prendre le contrôle du peuple équidé. Certes c'était moins classe mais tout de même un début pour ses rêves de domination universelle. Et puis il s'était échappé sans être repéré, ce qui lui vaudrait plus tard une merveilleuse surprise au quotidien mais ça, c'est une autre histoire.

Il était libre, sous forme de jument certes, mais libre ! Petit à petit, les chevaux se désintéressèrent de leur guide et se séparèrent en plusieurs groupes dans l'immense espace de leur offraient les prairies. Loki s'éloigna aussi des animaux, il préférait se balader seul. La première journée passa rapidement tandis qu'il se baladait dans l'herbe tout en mâchonnant régulièrement des pousses vertes. Asgard était vraiment un royaume magnifique, et un havre de paix. Il dormit à l'abri d'un grand arbre tout en restant sous sa forme animale. Le lendemain, il marchait déjà alors que le jour se levait. À l'heure qu'il était, on avait sûrement remarqué sa disparition. Le dieu espérait juste qu'ils ne feraient pas appel à Heimdall trop vite, il n'avait pas lancé de sort de dissimulation et ne comptait pas changer de forme pour en lancer un. C'était une belle journée, comme presque tous les jours sur Asgard. Loki se sentait bien, la journée s'annonçait aussi tranquille que la précédente. Et ce fut le cas, rien à signaler ni dans la matinée, ni dans l'après-midi. Seulement des prairies verdoyantes à perte de vue, quelques collines et valons, des espaces boisés, des petits ruisseaux et des oiseaux qui offraient un bruit de fond apaisant. Si ses enfants ne l'avaient pas attendu au palais, Loki serait probablement resté ici pour un très long moment.

Le jour suivant, il s'approchait d'un ruisseau pour boire quand il aperçut un immense cheval noir qui se désaltérait déjà de l'autre côté du cours d'eau. Loki se figea et ses oreilles pivotèrent en avant. Ce cheval était particulièrement beau. Déjà en tant que connaisseur, c'était à coup sûr un étalon et une monture incroyable. Mais en tant que jument... Loki secoua la tête. Il fallait qu'il fasse attention à ses transformations, quand il conservait longtemps une apparence, elle avait tendance à prendre le dessus. Les oreilles de l'étalon remuèrent et il leva la tête. Loki recula d'un pas. Il était mal à l'aise devant l'animal, et ça, ça ne lui arrivait presque jamais. Depuis combien de temps était-il sous cette apparence ? Plus de quarante-huit heures probablement. Plus de quarante-huit heures ? Loki secoua sa crinière, il fallait qu'il reprenne sa forme humaine et vite ! Il se mit à réfléchir mais l'étalon fit un pas et son sabot transperça la surface de l'eau. Suivi rapidement par le deuxième. Loki s'arrêta, paniqua, et il ne devait pas paniquer s'il voulait utiliser sa magie. Il fallait qu'il reprenne ses esprits. Ça devenait urgent. Il en était encore à se rappeler comment annuler une transformation quand l'étalon fut devant lui. Loki se figea alors que la tête de l'animal s'approchait beaucoup trop de lui, d'elle. Loki poussa un minuscule hennissement et se trouva minable. Ses oreilles remuaient rapidement et l'étalon s'approchait toujours. Il lui donna un petit coup de tête et Loki le fixa du regard. Bon sang. Cet étalon était vraiment magnifique. Il fallait qu'il s'en aille, qu'il s'éloigne, qu'il reste avec lui pour toujours. Loki paniquait sérieusement, il n'arrivait plus à penser correctement. Il voulait rentrer dans le palais, il voulait rester ici, il voulait à tout prix s'éloigner, il aurait tout donné pour que l'étalon soit plus près, il avait peur, il avait envie de lui. Il était terrifié, il répondit à la caresse du cheval. Il frotta sa tête contre le cou de l'étalon. Il était doux. Il devait rentrer, il allait rester. Cet étalon lui faisait la cour non ? Pourquoi ne pas en profiter... Pour fuir ? Non... Il ne devait pas, il ne voulait pas partir.

•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•

Loki cligna lentement des yeux, il était épuisé. Mais pourquoi ? Il faisait encore nuit; près de lui, un étalon dormait. Loki le regarda fixement, il était plutôt beau cet étal... Oh. Loki paniqua. Encore. Décidément ça devenait une habitude. Qu'est-ce qu'il s'était passé dans la journée ? Il avait eu soif, il avait vu un ruisseau, un étalon et. Oh mon dieu. L'estomac du dieu se contracta violemment. La jument recula nerveusement, mettant une distance de sécurité entre elle et son... Bref. Loki sentit ses pattes trembler sous lui. Il souffla brusquement de ses naseaux frémissants tout en reculant plus vite. Puis, il fit un vif demi-tour. Loki partit au triple galop vers la ville qui projetait sa lumière dans le ciel.

Hors d'haleine, l'écume aux lèvres, la jument approcha enfin des premiers bâtiments. Loki s'arrêta pour la première fois et reprit forme humaine, il ne réfléchit pas, n'importe quoi ferait l'affaire. Il prit l'apparence d'une servante quelconque, l'idéal pour passer inaperçu, et repartit dans sa course effrénée vers le palais, puis sa chambre. Quand enfin, la porte claqua dans son dos, Loki se laissa glisser au sol, les bras passés autour de ses genoux. Il resta prostré ainsi pendant de longues minutes avant de se ressaisir. Il fallait qu'il reprenne sa vraie forme. Pas celle d'une servante. Il se concentra et ferma les yeux, la vague de magie l'envahit et il se leva. Loki, dieu de la malice, fils d'Odin et frère de Thor. Non, quelque chose clochait. Loki baissa les yeux sur son torse. Il avait de la poitrine, des longs cheveux noirs : il était toujours une femme. Il n'arrivait pas à se transformer. Il réessaya encore et encore, la pièce plongée dans l'obscurité était éclairée de flashs verdoyants mais rien à faire. Loki s'assit sur son lit, le regard dans le vague. Cette fois il allait craquer. Il allait craquer et fondre en larmes. Un long gémissement lui fit tourner la tête. Fenrir, qui approchait déjà de la taille d'un loup normal adulte, le regardait avec des yeux de louveteau battu. Loki tapota le matelas à côté de lui et l'animal bondit avant de s'allonger, posant sa tête sur la cuisse de son père.

- Toi tu t'en fiches de mon apparence, soupira Loki en lui caressant la tête et les oreilles. Mais il est hors de question que les autres me voient comme ça. Comment je vais faire ?

Loki s'allongea sur le dos. Bloqué dans un corps de femme. Quelle situation ridicule. Il se tourna et plongea son visage dans la fourrure de Fenrir qui gémissait, inquiet de l'état de son père.

•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•

- Loki ? Tu es malade ?

Le dieu répondit par un simple grognement. S'il parlait, sa mère remarquerait dans la seconde qu'il n'était pas lui-même.

- Loki. Parle-moi. Ça fait des semaines que tu n'es pas sorti.

- Mmm...

Loki baissa les yeux, son ventre était déjà légèrement arrondi. Il avait réussi à sortir sans être remarqué il y a quelques jours mais les odeurs du palais lui avaient donné la nausée alors il était retourné se calfeutrer dans sa chambre. Et là, sa mère campait devant sa porte. Il fallait qu'il la fît partir. Loki se dirigea vers le miroir qui trônait dans un angle de sa chambre. Il se mordilla les lèvres en contemplant son reflet dans la glace. Il était une femme, il n'arrivait pas à s'y habituer. Mais qu'est-ce qu'y lui avait pris de partir comme ça hors du palais...? Rapidement, il claqua des doigts et fit apparaître une feuille et une plume. Il s'assit au sol et écrivit rapidement.

J'ai mal à la gorge je n'arrive pas à parler, je suis fatigué. Je peux me soigner seul, je veux juste rester seul.

Loki regarda la seule phrase écrite. Sa mère frappa à nouveau à sa porte. Il rajouta quelques mots.

Ne t'inquiète pas Mère, je vais bien.

Loki se releva et se dirigea d'un pas hésitant vers sa porte. Il glissa la lettre sous le battant et retourna dans son lit. Il entendit le froissement du papier quand sa mère attrapa la feuille pliée pour la lire.

- Mon chéri...

Loki attendit sans répondre et les pas de sa mère résonnèrent dans le couloir avant de disparaître. Loki se recroquevilla sur lui-même, mains serrées sur son ventre, les larmes aux yeux. Combien de temps ça allait durer ?

•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•

Loki sentit un coup dans son ventre et ouvrit brusquement les yeux. Comme à chaque fois, il regarda aussitôt vers sa fenêtre. Il faisait nuit. L'asgardien soupira en passant une main sur son ventre gonflé.

- Salut toi... T'es bien matinal aujourd'hui...

En entendant la voix de son père, Fenrir grogna dans son sommeil et une de ses pattes tressaillit. Loki sourit et passa lentement un doigt sur le dessus de la patte du loup. Sa fourrure était terriblement douce. Le dieu leva un bras et contempla ses ongles, longs, ses doigts, encore plus fins qu'avant, sa main, moins large, puis son avant-bras, très finement musclé, jusqu'au coude. Rien à faire, tout chez lui émanait la féminité. Il soupira et passa une main le long de sa joue, replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille. Fenrir bailla bruyamment et se tourna en venant coller son dos contre Loki.

- Eh... Bouge de là toi, t'as la place que tu veux ! Ne viens pas me coller, bougonna Loki en poussant l'animal.

Fenrir, réveillé, tourna la tête vers son père, la langue tombant hors de la gueule.

- Ne fais pas cette tête. Tu es ridicule. Ridicule.

Le loup poussa un petit jappement et coinça sa tête près de l'épaule du prince. Loki râla encore pour la forme avant de gratter le ventre du canidé.

- T'es content trésor ? Tu vas bientôt avoir un petit frère, ou une petite sœur... Ça serait pas mal une petite sœur, non ? Qu'est-ce que tu en penses ?

Fenrir ferma les yeux. Il s'en fichait pas mal d'avoir un frère ou une sœur. Des grattouilles sur le ventre ça lui suffisait amplement.

Plusieurs mois plus tard, Loki allongé sur le dos maudissait sa vie. Il avait mal partout. Passés les premiers mois où il régurgitait tout ce qu'il avalait, il avait eu quelques semaines de répit sans rien à signaler. Mais après ce calme, il avait mal. Mal au dos, mal aux pieds, mal au ventre surtout. Très mal au ventre. Le truc qui grandissait dans son ventre le malmenait. Il donnait sans arrêt des coups qui à la longue avaient couvert la peau pâle de Loki de marques bleutées, verdâtres ou jaunâtres. Et bon sang qu'est-ce que ça faisait mal ! Loki gémit quand il sentit un nouveau coup. Il n'en pouvait plus, être enceinte c'était un enfer. Et c'était pas fait pour lui ! Déjà, il était un homme et ensuite... Non ! C'était assez, il était un homme ! Un homme ne tombe pas enceinte ! Nouveau coup. Loki grogna douloureusement et passa une main sur son ventre. Il en avait marre. Vraiment marre. Et il avait envie de redevenir un homme. Parce que, en plus, maintenant il avait plus de poitrine. Et ça aussi, ça faisait mal. Combien de temps ça allait encore durer ?

Ça faisait maintenant dix mois. Dix mois qu'il restait dans sa chambre, ne sortant que rarement de nuit pour faire quelques pas hors de la pièce où il passait tout son temps. Tous les jours, on déposait trois plateaux devant sa porte. Matin, midi et soir et ce depuis le début. Pourtant les premiers jours, par pur orgueil, il n'y touchait pas. Ensuite, il avait essayé, mais son estomac, lui, avait refusé. Cette vaine tentative d'alimentation avait entraîné une perte de poids importante. Puis, quand son estomac avait consenti à le laisser s'alimenter, il avait commencé à manger. Ne mangeant au début d'un quart de son assiette en se forçant, il dévorait maintenant son assiette et en aurait demandé plus s'il avait osé adresser la parole à la personne, inconnue, qui lui apportait son repas. Son futur enfant lui pompait trop d'énergie. Et de nourriture. Heureusement, petit à petit, les portions avaient augmenté mais cela ne suffisait pas. C'était mieux mais Loki avait encore faim, et maigrissait toujours. Il se sentait faible.

•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•

Ça y était. Ce matin là, ça faisait onze mois. Onze mois d'enfer. Quand il ouvrit les yeux, c'est ce que Loki se disait. Un jour de plus rempli de douleur. À force, il s'habituait. Après tout ça allait bientôt faire un an. Mais s'il s'attendait à avoir mal, il ne s'attendait pas à ça. Loki, encore endormi, se redressa sur les coudes avant de serrer vivement ses lèvres pour retenir un hurlement de douleur. Il retomba dans ses draps, maintenant parfaitement réveillé, en serrant le tissu dans ses poings. Il sentit son ventre se contracter et les larmes lui monter aux yeux. Il se crispa entièrement et haleta. Cette fois, il était vraiment en enfer. D'une main tremblante, Loki lança un sort d'insonorisation dans sa chambre avant de crier.

-En... Enfer... Je vis... Un putain d'enfer !

Les poings serrés à s'en faire blanchir les phalanges, le front luisant de sueur, les muscles bandés, les yeux fermés, mordant un bout d'un drap, Loki se sentait mal. La douleur augmentait sans cesse, les contractions lui arrachaient des hoquets de douleur, il allait mourir. Son corps entier fut parcouru d'un long frisson et malgré le drap, Loki se mordit les lèvres. Une légère tâche de sang fleurit sur le tissu.

•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•

Le dieu avait enfin retrouvé son apparence. Il en avait rêvé. Pourtant, là, il voulait juste mourir. Il était allongé dans son lit, les bras en croix, les muscles encore tremblants de son long, trop long effort. Son torse décharné se soulevait rapidement, il avait les yeux clos. Il voulait dormir. Il rouvrit les yeux en fixant le plafond. C'était fini ? C'était vraiment fini ? Il tourna la tête et regarda vers le fond du lit où se trouvait la preuve que ces derniers mois étaient bien réels. Un minuscule poulain frissonnant à huit pattes essayait de se lever sur le matelas. Il se souleva un instant avant de retomber. Loki soupira, il se redressa difficilement et envoya balader les draps tachés de sang. Il était nu, le corps encore recouvert d'une fine pellicule de sueur. Le poulain releva la tête alors que Loki s'approchait de lui. Le dieu tendit une main et caressa le dos de l'animal qui faisait la taille d'un gros chat.

- Sleipnir. Je vais t'appeler Sleipnir.

Loki tendit les deux bras et souleva le jeune cheval. Il le déposa au sol.

- Vas-y. Lève-toi, ça va être plus facile.

Loki se laissa tomber sur son matelas et regarda le poulain se lever. Après plusieurs essais, il fit ses premiers pas. Quelques minutes plus tard, il trébuchait et s'emmêlait les pattes en traversant la pièce. Loki le regardait faire, un sourire fatigué sur les lèvres. Ces mois de souffrances valaient le coup tout compte fait. Il se leva lentement et se dirigea vers sa salle de bain. Dans son dos, Sleipnir essaya de le suivre avant de tomber. Quand le dieu se retourna, le poulain semblait avoir abandonné l'idée de rejoindre sa mère et restait immobile. Loki s'enferma dans la salle de bain. Il se glissa dans la baignoire qui occupait un angle avec un soupir de bien être. Installé dans l'eau, il leva ses bras pour les regarder. Il fixa attentivement ses mains. Il était maigre. Alléluia, il avait retrouvé sa forme. Mais quand même... Pourquoi son fils avait-il autant de pattes ? Loki ferma les yeux et s'enfonça sous l'eau.

Thor, plongé dans des réflexions qui n'appartenaient qu'à lui, était assis dans un fauteuil et regardait pensivement Mjönir. On frappa à sa porte et le blond s'arracha à sa contemplation pour aller ouvrir sa porte.

- Oui ?

Le dieu du tonnerre regarda, médusé, l'homme qui se trouvait devant lui. Il hésita avant de l'appeler.

- Mon frère ?

Loki les yeux baissés dans des vêtements débraillés qui paraissaient trop grands sur lui, se tenait debout en s'appuyant contre le rebord de la porte. Il ouvrit la bouche, la referma et avança d'un pas. Il se colla contre le torse de son frère sans prononcer un mot.

-Loki ?

Thor referma ses bras autour de lui. Loki n'était habituellement pas baraqué mais cette fois, Thor sentit qu'il était vraiment faible. Ce dernier, les bras ballants et les yeux dans le vide, restait sans bouger. Profitant juste de la chaleur de son frère.

- Je suis fatigué, Thor, soupira-t-il avant de s'évanouir dans les bras du premier prince d'Asgard.

- Loki ? Loki ! GARDES ! À L'AIDE !

•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•°•

- Loki... Mon chéri...

- Hum...

- Ouvre les yeux mon grand.

Loki ne voulait pas ouvrir les yeux. Il était bien, il était au chaud, sa mère lui parlait, sa mère lui caressait le front. Pourquoi aurait-il voulu ouvrir les yeux ? Après ces derniers mois d'isolement et de souffrances, c'était si beau que ça semblait être un rêve.

- Loki s'il te plaît. Je sais que tu es réveillé.

Le dieu laissa un soupir passer la barrière de ses lèvres et ouvrit les yeux. Son regard vert endormi se posa sur le visage de sa mère.

- Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre ? demanda Loki en réprimant un bâillement.

- Tu n'es pas dans ta chambre. Tu es dans l'infirmerie.

- De quoi ?

Loki se redressa en grognant et posa une main sur son ventre avec une grimace. Qu'est ce qu'il avait mal. Il tourna la tête et observa rapidement son environnement. Effectivement, il était bien à l'infirmerie. Mais qu'est-ce qu'il faisait là ? Et où étaient ses enfants ? Le regard sérieux de sa mère l'arrêta alors qu'il voulait se lever.

- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé Loki ?

-Rien Mère.

- Loki ! Tu disparais du jour au lendemain, tu reviens plusieurs jours plus tard sans prévenir personne et tu t'enfermes dans ta chambre pendant près d'un an. J'estime avoir le droit de savoir !

- J'avais besoin d'être seul, répondit effrontément Loki.

- Et toutes ces marques sur ton ventre ?

- C'est rien, je me suis cogné c'est tout, dit son fils en détournant les yeux.

- À d'autres, jeune homme ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Le regard de sa mère se remplit de douceur.

- J'ai eu peur Loki, murmura-t-elle en caressant la joue de son fils. Si peur...

Le dieu baissa les yeux. Il n'allait quand même pas expliquer qu'il avait... Avec un cheval. Il grimaça, il se dégoûtait. Si seulement il n'avait pas croisé cet étalon. Sa mère soupira, visiblement résignée.

- Nous sommes rentrés dans ta chambre après t'avoir amené ici Loki. Nous l'avons vu.

- Quoi ? Mère !

Loki écarta la main toujours posée sur son visage et s'assit au bord du lit. Il posa ses pieds au sol et se leva avant de quitter la pièce en courant. Sa tête se mit à tourner et il trébucha, se secoua, se transforma en loup et courut vers sa chambre en se cognant contre les murs. Arrivé dans celle-ci il redevint humain. Son regard paniqué balaya la pièce. Où étaient-ils ? Derrière lui, des pas s'approchaient rapidement.

- Loki ! Loki calme-toi !

- Où sont-ils ?

- Loki...

- OÙ ?!

Loki, dans les vêtements blancs et lâches de l'infirmerie, se tourna vers sa mère. Il avait les yeux rougis et les lèvres tremblotantes.

- Mère, dit-il d'une voix cassée. Où est-ce qu'ils sont ? Pourquoi vous me les avez enlevés ?

Il s'assit par terre, le regard vide. Son cœur se serrait dans sa poitrine. Pourquoi ? Pourquoi lui enlevait-on toujours ce à quoi il tenait ? Sa mère s'approcha et posa une main sur son épaule. Loki se dégagea brusquement mais la main se reposa une nouvelle fois, alors il se laissa faire.

- Ils vont bien mon chéri. Thor s'occupe du serpent et le poulain est à l'écurie.

- Et Fenrir ?

- Qui ?

- Fenrir.

- Ah, le loup.

Loki hocha timidement la tête tout en gardant son regard fixé sur le sol et ses pieds.

- Nous n'avons trouvé aucun loup.

- Va-t'en.

- Chéri...

- Sors, ordonna le prince d'une voix cassée.

La femme regarda son enfant et quitta la pièce en silence. Loki se releva lentement.

- Fenrir ? Fenrir ! Où es-tu mon grand ? Fenrir c'est moi !

Loki traversa la pièce de long en large, vérifia la salle de bain et la seconde pièce qu'il avait commencé à aménager. Les mains du dieu se mirent à trembler. Où était son fils ?

- Fenrir ?

Loki allait abandonner et s'effondrer quand un petit bruit attira son attention. Il se jeta au sol, ignorant la douleur qui irradia aussitôt de son ventre et regarda sous son lit. Le loup était recroquevillé sur lui-même, les oreilles rabattues et le museau dans les pattes.

- Hé... Fenrir...

L'animal redressa difficilement la tête et poussa un petit aboiement en regardant le dieu.

- C'est moi, murmura-t-il. C'est papa.

Le loup se mit à ramper pour s'extraire du lit. Il sortit précipitamment et se jeta sur Loki. Léchant son visage et ses mains, frottant sa tête contre lui tout en poussant de petits gémissements.

- Là, là, tout va bien trésor, tout va bien. Papa est là.

Le loup tremblant se colla contre Loki et enfouit son museau dans le cou du dieu qui était humide de larmes. Si Loki avait eu peur de les perdre, ce n'était rien par rapport à Fenrir qui avait vu son père disparaître et ses frères être enlevés sous ses yeux. Le dieu de la malice serra longuement la bête contre lui en lui murmurant des mots rassurants jusqu'à ce que l'animal cessât de gémir et de trembler. En silence, son fils toujours contre lui, Loki ferma les yeux et se concentra. Il sentit rapidement la vague d'énergie le parcourir, signe que sa magie était en action. Un instant plus tard, il avait retrouvé ses forces. Une chance que l'infirmerie soit toujours chargée en énergie magique. Le temps passé là-bas l'avait bien aidé à recharger ses batteries. Il inspira et changea sa tenue, troquant les vêtements blancs contre ses vêtements à lui.

Loki se leva et se dirigea vers la porte; sa mère était repartie depuis longtemps, préférant le laisser seul.

- Allez Fenrir. On va chercher tes frères.

Le loup jappa et se glissa entre ses jambes pour réclamer une autre caresse.

Son loup collé contre ses mollets, Loki se dirigea vers la chambre de Thor. Le dieu ouvrit sa porte, tout sourire.

- Ton serpent m'aime beaucoup mon frère !

Loki haussa un sourcil et regarda son fils, enroulé autour du coup de Thor. Il essayait clairement de l'étrangler. Cette constatation fit sourire le dieu de la malice.

- Si tu le dis mon frère...

Loki tendit la main et Jörmungand s'enroula autour de son bras, remonta et vint se loger sur son épaule.

- Tu ne veux plus de câlin ? demanda Thor.

- Je te demande pardon ?!

Loki ouvrit grands les yeux.

- Et bien... Quand tu es sorti de ta chambre tu es venu me voir, commença tranquillement l'oncle des animaux.

- QUOI ?!

- Tu avais l'air très fatigué et...

- Oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu, répétait Loki en se frottant les tempes.

Fenrir lui lança un regard inquiet, Thor posa une main sur l'épaule libre de son frère et Loki se crispa.

- Je... Je vais chercher Sleipnir, marmonna le dieu aux cheveux noirs avant de partir à grands pas.

Il ne se rappelait pas être allé voir Thor... Il se rappelait son... Accouchement, très perturbant de se rappeler ce genre de chose quand on était un homme. Il se rappelait être dans son bain, avoir commencé à s'habiller tout en regardant Sleipnir parce qu'il était trop mignon à trébucher dans la chambre et puis... Et puis, et puis sa mère l'avait réveillé. Oh bordel. Il était allé faire un... Un... Un câlin ? À Thor ? Pourquoi n'était-il pas mort déjà ? Ah oui, c'était un dieu. Quelle barbe ! Loki grogna et frappa dans une colonne. Fenrir le regarda faire les oreilles dressées sans trop comprendre. Jörmungand siffla doucement en frottant sa tête contre la tempe de Loki. La caresse maladroite de son fils le fit sourire. Puis, le dieu reprit sa marche et lança son pied dans une porte pour l'ouvrir tout en enfonçant ses mains dans ses poches.

- Dégagez, grogna-t-il à l'intention des soldats qui se trouvaient dans l'écurie.

Passée la surprise de voir Loki —oui une rumeur circulait comme quoi il était sorti de sa chambre, mais ça faisait bizarre de le revoir après un an—, les soldats prêtèrent attention au visage de Loki. Et, voyant le prince s'approcher avec sa tête des mauvais jours, qui plus est accompagné d'un loup et d'un serpent qui auraient tout fait pour le soutenir, les asgardiens quittèrent rapidement le bâtiment.

- Où est-il, marmonna le dieu.

Il regarda les boxes qui s'étalaient devant lui. Beaucoup, beaucoup trop de boxes et de chevaux. Or, il n'avait pas de temps à perdre

- Fenrir, cherche ton frère.

Le loup jappa et se mit à fureter dans l'écurie, cherchant l'odeur du poulain qu'il avait gentiment léché peu après sa naissance. Le dieu le suivit et l'animal lui fit traverser presque tout le bâtiment. Quand Fenrir s'arrêta, il posa ses pattes avant sur la porte du box et leva le museau. Loki accéléra le pas et ouvrit la porte. Son dernier fils, qui visiblement avait déjà grandi de plusieurs centimètres, il ne faisait plus la taille d'un chat mais d'un chien, se tenait aux côtés d'une pouliche. Cette observation fit grogner Loki qui s'approcha de Sleipnir en le soulevant dans ses bras. Il fusilla la jeune jument du regard en sortant. C'était son fils, pas le sien. Il quitta l'écurie et regagna sa chambre au pas de course. Sleipnir tout content d'être porté remuait doucement ses huit pattes tout en appuyant sa tête sur l'épaule de Loki. Jörmungand qui était sur l'autre épaule serpenta jusqu'à lui tout en s'enroulant au passage autour du cou de son père. Le reptile sortit sa langue et regarda attentivement son demi-frère. Le jeune cheval avait tourné sa tête vers lui et les deux échangèrent un long regard vert. S'il y avait bien une chose que la fratrie avait en commun c'était la couleur de leurs yeux. Finalement, Jörmungand se désintéressa de Sleipnir et reposa sa tête dans le creux de l'épaule libre. Peut importait ce nouveau venu, les épaules de Loki resteraient toujours sa place de prédilection et il ne comptait pas la léguer. Il gagnerait la guerre territoriale.

Loki s'arrêta enfin devant sa porte et déposa Sleipnir au sol. Dire qu'il avait tant rêvé d'en sortir une fois sa forme retrouvée, la première chose qu'il faisait c'était d'y retourner. Pitoyable. Il ouvrit la porte et poussa du genou le cheval qui contemplait le couloir. Fenrir était déjà installé sur le lit et Jörmungand avait filé au sol, direction son bassin.

- Suis tes frères Sleipnir, ordonna Loki en croisant les bras.

Le poulain le regarda et avança lentement dans la pièce. Réalisant qu'il se trouvait dans un environnement familier, il partit un peu plus sûrement. Loki le regarda trotter autour du lit, le poulain cherchait visiblement à comprendre comment atteindre Fenrir. Loki sourit et referma la porte. Il voulait passer du temps avec eux mais il fallait qu'il allât chercher à manger pour le nouveau venu et ensuite qu'il se reposât. Encore une fois, ses parents n'avaient rien dit de spécial. Il n'avait pas encore vu Odin mais était persuadé que ça serait comme sa mère. Le père de toute chose allait le sermonner brièvement sur sa disparition et son absence avant de passer à autre chose.

Tout en partant vers les cuisines, Loki réfléchissait, le front plissé. Il avait eu deux enfants, trois si on comptait Hel, avec une déesse et aucune réaction. Il avait fugué et s'était barricadé dans sa chambre pendant un an, on ne lui en avait pas tenu rigueur. Tous étant bien trop intrigués par Sleipnir. Pourquoi un poulain ? Heureusement que les gardes étaient là pour poser les vraies questions. Le dieu de la malice ne voyait plus quoi faire. C'était pourtant une naissance non prévue qu'il mettait les parents hors d'eux, non ? Loki n'y comprenait rien. Le dieu se servit dans un des garde-mangers et repartit.

Le soir venu, il s'était allongé sur son lit, la tête posée sur ses mains et regardait, un doux sourire aux lèvres, son dernier enfant. Sleipnir admirait avec des yeux brillants le nuage vert qui flottait au-dessus de sa tête. La fumée diffusait une légère musique de quelques notes qui se répétaient, une berceuse. Une berceuse calme pour endormir son petit dernier. Loki était fier de son idée, mais surtout, Loki était heureux.