Chapitre 7: tendre protection

par Atizumai

Takashi hurle et Ukomi laisse échapper de grosses gouttes salées, en se jetant sur les hommes, avec la force du désespoir, mais la force suffisante pour les étrangler. Le jeune professeur plonge dans la rivière à ses risques et périls. Au risque de ne jamais remonter. Il plonge, tout au fond, là où les bulles se sont arrêtées, là où le sang remonte à la surface. Là où elle a basculée. Juste avant de les sauver...
DEUX HEURES AUPARAVANT...
Je prends mon essor et saute. Enfin, j'arrive à destination. Je soupire, une fois de plus, je me suis fourrée là où il ne fallait pas. Et puis, depuis quelques temps, j'enchaîne bourde sur bourde. D'abord, mon amant me lâche, ensuite, je me fait renvoyer du collège où je travaille pour agression et l'Académie prends la décision de fermer mon cabinet, mais ça, nien n'est joué. Je m'en occupe personellement. Je m'accroupis et pose mes mains sur les tuiles usées par le temps, presque délabrées. Je sens des vibrations. Heureusement que je ne pèse pas trop lourd. J'entends les sirènes s'éloigner. Me voilà débarassée des flics. Et oui, m'en voilà réduite à voler pour gagner ma vie. Affligeant, n'est-ce pas ?
Je travaille pour un collectionneur. Il me donne mes ordres de mission par correspondance, et anonymement, bien sûr. Il m'a envoyé dans une petite bourgade aujourd'hui. J'ai volée deux ou trois diamants aux formes, disons, spécifiquement perverses, dans une bijouterie. Je ne suis pas fière de ce que je fais. Mais je n'ai pas le choix. C'est ça, ou la fusillade. Et oui, mon employeur est un mafieux. Charmant, n'est-il pas ? Américain, de peau claire, avec un accent, il a dû fuir son pays d'origine pour "raisons personelles". Je me doute un peu de ce qu'il a pu faire. Mais le fait est qu'il est armé, et pas seul. Un petit groupe violent, mais remarquablement discret. Ils m'ont remarqués alors que je faisais de la gym, dans un complexe sportif. Les mafieux ont commencés par jauger toutes les jeunes gymnastes, puis ils se sont rabattus sur moi: jeune, habile, à l'apparence fragile et innocente, un rien insolente, ce qu'ils ont appréciés et surtout, trop bien "foutue" pour être une criminelle. Tout ça parce que j'avais les capacités minimes, que je savais la boucler quand il faut, que j'étais discrète et que je n'avais pas le profil d'une dealeuse ou d'une voleuse. Oui, oui, j'effectue aussi quelques transactions. Alors, donc, ils m'ont coincés à la fin de ma séance et m'ont gentiment proposé le boulot. Je leur ai expliqué que je n'avais presque plus rien, mais que je n'étais pas une ordure. Ils m'ont fait changé d'avis en un temps reccord. Une ou deux heures plus tard, je ressortais de leur planque, un vieux garage rabougri. Et hop ! un petit coup de flingue, un autre de batte de base-ball, et le tour est joué. Oh, et, la menace certaine de voir mon Takashi, qui n'est plus le mien désormais, mourrir. Ben, j'avais pas trente-six solutions... On me propose de l'argent contre un boulot douteux et une ou deux menaces, quelques coup et voilà, j'accepte.
Je referme le sac de velours noir qui contient le butin, que je fourre sous ma veste en cuir et me relève, aux aguets, presque plus sauvage qu'un félin. Pour ce boulot, on m'a donné une tenue que je peux aprécier, pour son confort remarquable et sa discrétion. Un tee-shirt blanc déchiré, une veste en cuir ouverte, un pantalon collant, des bottes, des mitaines et un chapeau aux bords incurvés, noir, de style chic. J'avais remonté mes cheveux en queue de cheval, les camouflant sous le chapeau. Mes yeux étaient invisibles derrière des lunettes de soleil sophistiqués. Et j'avais du matos de pro. Pour ça, je n'ai pas à me plaindre. Un colt et un poignard à ma ceinture, un fusil de précision pliable (et dépliable, cool hein ?) dans ma sacoche, des jumelles dernier cri et d'autres trucs dont je ne connais pas le nom, mais dont je sais me servir, ce qui en soit, est déjà pas mal.
Je bondis sur le toit d'à côté et saute dans ma toute nouvelle voiture "d'affaires". Un quatre-quatre rutilant, une vrai bête. De quoi semer tout un régiment de flics. Je m'installe au volant et fais ronronner le moteur, déposant soigneusement ma sacoche à côté de moi. Enfin, je démarre. Direction, Shabby Town, ma petite ville où je travaillais dans son collège, quelques temps avant tout ça.

Je fais stopper la machine aux abords de la ville et la gare un peu avant, bien planquée. Je descend et pénètre dans Shabby Town. Pendant mes quelques heures d'absences, rien n'avait changé, comme je m'y attendais. Heureusement, imaginez si Shabby Town devenait une ville huppée où la loi serait respectée ! Je me ferais descendre avant de dire "ouf".
Je longe la rivière tumultueuse. Mieux valait ne pas essayer de s'y baigner. On était emporté aussitôt.
Mes yeux invisibles aux autres scrutent les alentours. Personne. Sauf... bien sûr, il y a toujours un hic. Quelqu'un. Prostré sur le trottoir, un blouson dont la capuche était rabattue et un vieux jean qui trainait par terre, s'abîmant sous les baskets. Il relève la tête. On ne la voit pas, ce serait trop facile sinon. Camouflée par une casquette à la longue visière. Ah, ces jeunes ! Toujours avec leur étrange style. Je passe, mine de rien, croisant les doigts pour avoir affaire à un crétin dénué du sens du mot patriotisme. Mais, non. Bien sûr que non.
Il m'observe. Et se lève, l'air d'un oiseau de proie. On dirait qu'il va se jeter sur moi. Je m'arrête et le jauge.
- Qu'est-ce que tu me veux ? demandais-je avec agressivité.
- Vous avez l'air louche, dit tout simplement la personne.
- Et toi ? Tu t'es regardé dans un miroir ?
Il baisse ses bras. Il n'est pas très grand. Mais je vois un mèche noire dépassée de sa capuche. Ce doit être une jeune fille. Un sourire se dessine sur ma bouche. Facile, je me suis déjà battue avec des canailles bien pires que celle-là.
-Qu'est-ce que vous faîtes ici ? Je ne vous ai jamais vu.
- J'habite ici, répliquais-je, irritée.
Et je m'esclaffe. Elle m'a eu, cette gamine ! Maintenant, elle sait où j'habite. Débile ! Je me frappe la tête avec ma main gantée.
- Ouais, c'est bon, tu m'as eu, gamine. Qu'est-ce que tu veux que je te donne ?
Elle me fait signe d'approcher. J'obéis, réticente. Gamine ou pas, il faut que je la fasse taire. Je n'ai pas envie de faire ça. Jusqu'ici, j'ai réussi à ne tuer personne. Peut-être blessé, mais ça, c'était obligé.
La gamine sembla faire un drôle de geste, c'est pourquoi je caressais mon poignard du bout des doigts. Elle s'approcha et sembla me renifler. Elle se prend pour un chien ?
- Je vous connais. Et votre silhouette me dit quelque chose.
Et oui, petit désavantage de mon équipement. On pouvait facilement deviner les formes de mon corps derrière tout cet arsenal meurtrier. J'ai un geste exaspéré et mes lunettes glissent sur le bout de mon nez. Je m'empresse aussitôt de les remettre correctement. La gamine semble fronçer les sourcils, soupçonneuse. Si ça se trouve, c'est une ancienne patiente. Pas cool...
- Tu ne devrais pas être en cours, aujourd'hui ?
- Hum, ouais. Mais j'ai pas cours de français, alors, ça sert à rien.
Quoi ? Fr... français ? Aussitôt, l'image de Takashi s'impose à mon esprit. Je secoue la tête. Arrête de te faire mal toute seule !
- Tu... tu aimes le français à ce que je vois.
- Pourquoi votre voix tremble, tout d'un coup ?
Elle prépare toutes ces questions avant de me les poser. Je suis en train de me faire avoir comme un bleu. Elle essaie de deviner qui je suis à travers ce qu'elle connait. Elle sait que j'habite ici, qu'elle m'a déjà vu. Et pour moi aussi, sa silhouette me rapelle quelqu'un. Une jeune fille que je connais, hum...
Chacune de notre côté, on essaie de piéger l'autre. Pas évident...
- Tu es en troisième, je me trompe ? demandais-je sur le ton de la conversation.
Les quelques passants nous observaient, ennuyés, avant de détourner les yeux. Ils ne se doutaient pas que derrière cette conversation banale se cachait un combat acharné pour une survie dont chacune avait besoin.
- Exact. Vous faîtes quoi dans la vie ?
On posaient nos question, dans une sorte de duel dont chacune respectait les règles avec minutie pour en savoir plus sur l'autre.
- Je bosse pour un mafieux américain, répondis-je en lui décochant un sourire de carnassier.
- Hum... je vois. C'est pas vraiment un métier tranquille. Vous n'aspirez pas à quelque chose de plus discret ?
- C'est vrai... mais je n'ai pas le choix. Alors, maintenant, laisse-moi, gamine.
Je reculais et repris ma route quand elle se jeta sur moi, me renversant en arrière, ôtant mn chapeau et mes lunettes. j'en profitais pour lui retirer capuche et casquette.
Nous poussâmes un cri ahuri.
Vous vous rappelez quand je vous ai dit que je me suis fait renvoyée de mon boulot d'infirmière pour agression ? Et bien, la personne que j'avais agressée se trouvait devant moi.
- Ukomi Genki ?!
- Ikura Hyuga ?!
Nous restâmes longtemps comme ça. Une expression d'incompréhension totale sur le visage. Finalement, je me relevais et reprit chapeau et lunettes. Elle reprit sa casquette mais la garda dans ses mains pâles. Je toussotais, gênée.
- Hum, et donc, qu'est-ce que tu fais, maintenant, pour gagner de l'argent ?
- Comme Takashi est riche, il m'envoie deux-cent euros en liquide tous les mois, ça me suffit et c'est très bien comme ça. Je n'ai plus à travailler, grâce à lui. Et j'ai de quoi payé les médicaments de ma mère.
- HEIN ?
Elle sursauta. Elle semblait regretter d'avoir laisser échapper ça. Immobile, la tête basse, elle ne disait plus rien.
Je m'approchais d'elle et m'arrêtais devant Ukomi.
- Ta mère... est malade ? Pourquoi ne pas me l'avoir dit avant ?
- LACHEZ-MOI ! hurla t-elle en dégageant son bras de mon étreinte.
Haletante, elle semblait vouloir me tuer.
- Alors comme ça, vous faîtes dans la Mafia, maintenant ? ricanna t-elle. Joli. On se croirait dans une série américaine.
J'ordonnais mes cheveux que j'avais détachés, puis la regardais étrangement. Pourquoi me provoquait-elle ? Peut-être qu'elle espèrait que je n'en parle à personne ?
- Dis-moi Ukomi... depuis combien de temps vis-tu comme ça ? Si j'ai bien compris, tu n'as que ta mère, elle est malade et tu n'aurais pas assez d'argent pour achetez de simples médicaments ?
- Oui, ça vous pose un problème ? Et oui, je n'ai pas assez d'argent pour m'achetez de "simples" médicaments, comme vous dîtes.
Je me mordis la lèvre inférieure. Je n'aurais pas dû lui dire de cette façon. Encore une fois, j'aurais dû la fermer, comme tout le monde.
- Ukomi... je... je suis désolée, murmurais-je.
Désolée de m'être emportée contre toi alors que j'avais tout et toi rien. Seule, dans une profonde détresse, avec le besoin de quelqu'un qui te sorte de ce trou infernal. Comment ais-je pu ne pas le remarquer auparavant ? Cela semblant si évident...
- Désolée ? Mais, oui, bien sûr. Désolée de quoi ? D'être pourrie jusqu'à la moelle ? D'être toi ? Et moi qui t'ai fait confiance. J'ai bien fait d'aider Ukomi.
Takashi sortit de l'ombre. Nous sursautâmes. Elle, complètement paniquée qu'il ai tout entendu, moi, blessée qu'il m'ai traité de pourriture. De ce que je suis, après tout.
Il entoura Ukomi de ses bras protecteurs et l'écarta de moi, comme si j'étais une bête sauvage particulièrement dangereuse.
Il s'approcha de moi, l'air particulièrement haineux.
- Si tu l'avais touchée, ne serait-ce qu'une petite parcelle de sa peau... je ne sais pas si tu serais encore en un seul morceau.
- Si, Takashi, si. Je serais encore en un seul morceau. Parce que tu n'es pas un monstre. Et que tu n'es pas capable de toucher les autres... si ce n'est pour les aider. Toujours.
Il se radoucit. Il avait vu mon air désespéré.
- A quelques exeptions près, murmurais-je tristement, fermant mes yeux d'un vert éclatant.
Il avait l'air coupable. Mais ce n'était pas mon but, pourtant, je ressentais un contentement au fond de moi. Comme si ça me faisait plaisir qu'il souffre à cause de moi... NON ! Ce n'est pas possible... je deviens vraiment atroce. J'ai envie de pleurer. De sentir la chaleur de ses bras, à nouveau. Qu'il soit à nouveau mien. Qu'on ne fasse qu'un. Encore une fois.
- Rien qu'une fois, chuchotais-je.
Il leva ses beaux yeux vert sombre vers moi. Il avait entendu. Et il espèrait avoir compris autre chose que la vrai tournure de la phrase. Mais ses si beaux yeux brillaient. Encore une fois à cause de moi. Le doute l'avait repris. Et l'éternelle question. Laquelle ?
- Ikura.
Je me tournais vers mon employeur. Grand, mince, en costume chic et le visage dur, je ne connaissais même pas son vrai nom.
- Le sac, Ikura, dit-il avec son accent, d'un ton qui ne souffrait aucune discution.
Je le lui jetais. Ukomi et Takashi se tournèrent vers moi.
- Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? me demanda Takashi.
Je secouais la tête.
- Rien, ne t'en fais pas. Ce n'est pas dangereux. Ne t'occupe pas de ça. Allez vous-en. Vite. Sinon... je vais vous tirez dessus.
Les deux furent stupéfaits. Non, vite, ne restez pas là. Partez avant qu'il ne vous fasse du mal à vous aussi. Partez avant qu'il ne vous tire dessus comme il m'avait tiré dans la cuisse pour m'obliger à lui obéir, partez avant qu'il ne m'oblige à vous faire du mal. Je vous en supplie, ne m'y obligez pas... Une larme roula sur ma joue, mais elle passa inaperçue.Le mafieux et sa bande sortirent leurs armes. Instinctivement, je dégainais mon colt et le pointais sur les deux personnes auxquelles je tenais le plus.
- Partez, murmurais-je.
Ils avaient l'air si effrayés... Mais ils n'en démordraient pas. Tous les deux, ils étaient bien trop têtus pour laisser passer un tel gangster en plein dans notre petite ville. Mais je ne voulais pas qu'ils s'interposent. S'il le faisait, ils allaient souffrir. Et je ne voulais pas de ça. Allez, partez, laissez-tombez !
- Foutez le camp ! criais-je en serrant un peu plus mon colt, m'obligeant à ne plus trembler.
J'aurais pu être crédible si Takashi et Ukomi ne me connaissait pas aussi bien. S'ils n'avaient pas perçu la note de chagrin et de terreur dans ma voix.
Ils voulurent prendre ma défense. J'entendais leurs cris comme au ralenti. J'entendais également les cris de mes employeurs. Et c'était ça qui me faisait le plus peur.
Et c'est là que j'entends un coup de feu, très lentement. C'est comme si je voyais la balle se diriger vers eux, comme une mort lente et sournoise qui me nargue.
Je me précipite vers eux, en hurlant. Je ne sais plus ce que je dis. Mais je sais que la peur m'empêche de respirer.
Je m'interpose.
Et je sens l'impact.
J'ai réussi...
J'essaie de dire quelque chose. Mais au lieu de ça, j'avale mes larmes salées. Elles ont un horrible goût... un goût de sang, de mort.
Le sang brouille ma vue, je sens mon coeur exploser. J'ai mal. J'ai horriblement mal. Je sens que je tombe. Une longue chute. Puis j'ai froid, je suis gelée. Je sens de l'eau. Je coule. Avec mon sang qui se distille en volutes rouges dans l'eau autour de moi. Je ferme les yeux. Non, c'est fini. Je n'ai plus envie de me battre. Juste envie... de lui, de ses bras, de ses lèvres. J'ai sommeil. Et je vais m'endormir. Pour toujours.
Mais voilà que je sens ses lèvres. Contre les miennes. Qui caressent mes lèvres, elles sont si douces... comme du velours... Ses mains me serrent contre son torse si chaud, si réconfortant...ça y est, je suis au paradis.