Chapitre 1: le calme avant la tempête

par Atizumai

Je commençais à avoir l’habitude. Ombre Dorée était encore tombée malade. C’est vrai qu’à force de ses crises régulières, en ce moment, elle doit arriver à bout de force…

Et bien sûr, les inventions farfelues de Lala ne m’aident pas.

Enfin…

J’ajustais les cuisses d’Ombre sur mes côtes. Elle n’a pas l’air comme ça, mais elle n’est pas toute légère l’Ombre Dorée !

Encore un petit effort, le « manoir hanté » du Docteur Mikado n’est plus qu’à quelques mètres…

Je montais les marches, essoufflé. Je voulus reprendre mon souffle sur le perron mais j’entendis un cri.

Non, ce n’était pas un petit cri de joie, mais ce n’étais pas non plus un long cri de terreur.

C’était… un cri.

Un cri simple, court. Comme si quelqu’un s’était brûlé et avait vite retiré sa main. Mais ce n’était pas de la douleur, non plutôt… du plaisir ?!

Je rougis à cette pensée. Non, ne te fais pas d’idée ! Et puis, ce que fais le Docteur Mikado ne te regarde pas, crétin !

Je sonnais. Je n’entendis plus rien et tendis l’oreille.  Il y eut un grognement contrit, suivi d’un léger froissement. Des pas…

La porte s’ouvrit brusquement et…

… Et faillis tomber tête la première dans la poitrine du Docteur Mikado ! Elle parut surprise puis eut un sourire moqueur.

-         Tu m’espionnes, maintenant, Rito ?

-         Heu… ce n’est pas ce que vous croyez… c’est… heu, Ombre…

-         Je vois ça. Cette fille est une vraie furie ! Allez, entre.

J’entrais, détournant le regard, rougissant.

C’est vrai ça ! C’est quoi cette manie de venir ouvrir aux gens à moitié à poil !?

La dernière fois, elle n’avait qu’un soutien-gorge et un string… Maintenant, c’est le peignoir négligemment fermé qui laisse très discrètement penser qu’elle n’a rien en dessous…

C’est dingue ! Bon d’accord, c’est une infirmière, mais tout de même… Un peu de tenue, que diable !

Après tout, c’est une extra-terrestre… C’est la même chose avec Lala !

L’impudeur et l’exhibitionnisme doit venir de ça. Je pense…

C’est vrai que le Docteur Mikado, aux premiers abords… on dirait une allumeuse. C’est plutôt une séductrice. Mais c’est quasiment la même chose.

Enfin, je me demande  quels genres de garçons elle ramène…

Bref, cessons ce flot intempestif de pensées indiscrètes et déplacées, et retournons-en à Ombre.

Je la déposais sur la table d’examination avec précaution. Il ne manquerait plus qu’elle me tape encore dessus !

Mikado porta un doigt pensif à ses lèvres, dans une mimique très touchante, avant de se baisser pour aller farfouiller dans une caisse remplie à rabords. Je rougis, une fois de plus (de trop) en voyant la naissance de ses fesses se dessiner sur sa légère robe de chambre.

-         Vous ne pourriez pas vous rhabiller ? m’exclamais-je.

Elle se releva, surprise et suivit mon regard.

-         Ce n’est tout de même pas ma faute si vous regardez !

Nouvelle rougeur sur mes joues. Elle se rabaissa de nouveau et poussa un cri victorieux, tout en sortant un bidule à ressorts. Non, plutôt, heu, en fait c’est quoi ?

-         Et… ça va nous servir à quoi pour Ombre ?

-         Oh, ça, rien ! C’est juste quelque chose que je voulais récupérer pour jouer !

-         Jouer ?

-         Ah, oui, tu es trop jeune pour comprendre !

Elle rit. Je ne comprenais toujours pas. Quand elle aperçut mon expression, elle pencha la tête de côté, l’air amusée. Une autre mimique dûment acquise pour séduire les jeunes hommes…

-         Tu veux que je te décrive ce que nous faisons avec, nous autres les extra-terrestres ?

Je cillais. Extra-terrestre ? Jouer ? Bidule ?... De quoi ?

-         Très bien, dîtes-moi simplement ce que c’est.

-         Et bien…

Elle passa une langue humide sur ses lèvres et enfouit sa main dans ses cheveux amarante, ses yeux vert pomme pétillants.

-         Hum, attendez, fis-je. Ne faîtes pas de démonstrations. Je préfère prévenir, j’ai déjà donné avec Lala.

-         De démonstrations ? Mon pauvre Rito, déjà que tu ne peux même pas supporter de déshabiller une malheureuse jeune fille, alors, que je te fasse une démonstration de se…

-         C’est bon, je crois que j’ai compris à quoi ça servait, l’interrompis-je en l’empêchant d’en dire plus, une main posée sur sa bouche.

Je ne pus m’empêcher de rajouter.

-         Et vous faîtes ça, vous ?

Bien que ça ne m’étonnes pas plus que ça. Allez savoir pourquoi. Une infirmière, un string, des portes-jarretières, un soutien-gorge et une poitrine développée, hum. On obtient un résultat risquant de choquer les âmes sensibles telles que la mienne.

Soudain, un homme (en caleçon, soit dit en passant) déboula dans le labo. Il m’observa, il observa Ombre et jeta une œillade appuyée à Mikado. Il avait des cheveux d’un bleu-noir profond en bataille, un visage plutôt intimidant mais charmeur, de grands yeux rouge rubis (qui me fichaient la trouille) et un torse finement musclé. Le genre de Ryoko Mikado, quoi.

Il sembla frémir quand il m’aperçut, ainsi qu’à la vue du corps inerte d’Ombre. Il semblait… nerveux.

Il se détourna de la scène et repartit d’où il venait (la chambre de Mikado, au cas où vous n’auriez pas compris). Etrange bonhomme. Bon d’accord, il me fait flipper, mais il fallait voir ses yeux… Brrr, j’ai ai encore froid dans le dos ! Je me demande ce que le Docteur Mikado lui trouve. Enfin, plus bizarre qu’elle, tu meurs !

Bah en fait, je crois que je peux mourir. Ce type, Lala et Mikado était tous… non pas dérangés… hum, voyons, quel mot pourrais les qualifier ? Bon, pour faire simple, ce sont tous des extra-terrestres. Il n’y a aucun doute sur la provenance des yeux du type bizarre. Ce doit être l’espace qui les fait disjoncter…

-         Oh, tu… vous… je… Qui est-ce ? demandais-je.

Mikado semblait un peu… heu, dans les vapes. Un peu plus et je crois que la bave ne serais pas de trop. Elle en pince pour ce type…. Hem, je vais éviter de faire des commentaires, hein.

-         Docteur ?

Je passais une main devant son visage débordant d’affection, ou plutôt, d’une sorte d’hypnose. Enfin, bref.

-         You ou, Docteur Mikado ? La Terre appelle Kyoko Mikado, qui vient d’atterrir sur la planète très lointaine de « Bave land ». Ou alors, son cerveau fait une recherche sur Typelouche.com, ajoutais-je dans un murmure.

-         Hein ? Heu, excuse-moi, Rito. J’étais fascinée. N’est-il pas craquant ? me demanda t-elle en joignant ses mains, battant des cils comme une… je vais me retenir de penser ça, ce n’est pas très gentil et ça ne me regarde pas…

-         Heu, oui, hyper craquant, enfin, euh oui, je crois. Mignon ?

-         N’est-ce pas ?

-         Oui, bien sûr, mais peut-on en revenir à Ombre ?

-         Effectivement.

Oui, effectivement, si vous pouviez arrêtez deux minutes de fantasmer sur ce type bizarre et si vous pouviez soigner Ombre…

Elle s’affaira autour d’elle, déshabillant Ombre, tandis que je détournais les yeux.

-         Vous ne m’avez pas répondu, tout à l’heure, Docteur. Qui est-ce ?

-         Hum…

Elle rougit. Etrange, ce n’est pas dans ses habitudes… (Il est vrai qu’elle pourrait nous faire une démonstration de Kâma-Sûtra sans la moindre petite gêne, elle dirait que c’est tout à fait naturel…)

Elle sembla hésiter avant de répondre.

-         Un patient… affirma t-elle vaguement d’un geste de la main.

-         Vous couchez avec vos patients ? fis-je en souriant avec mesquinerie.

-         Pourquoi, ça vous pose un problème ?! éructa t-elle, furieuse. De toute façon, vous pouvez partir, puisque vous ne m’êtes d’aucune utilité. Vous pouvez retournez vous reposez.

Je ne réponds pas. Cette réaction ne lui est pas coutumière. Elle a un comportement plus que suspect.

Je l’observais.

Vous faîtes une piètre menteuse, Docteur Mikado. Mais que cherchez vous à cachez ?

 

J’ouvris les yeux. Ma vue était légèrement trouble et je clignais. J’étais dans une capsule de régénération. Exactement la même que celle du Docteur Mikado. Ce devait être la sienne.  Je tournais la tête, flottant dans le liquide de régénération avec aisance. Il était agréable de sentir l’eau lisse et pure sur sa peau. Ma température avait chutée. Je le sentais. J’étais bien. J’avais encore une fois une dette envers cette femme.

J’étais bel et bien dans son labo. Mais il n’y avait pas de Docteur Mikado. Ni de Lala, encore moins de Rito et pas de Mikan. J’étais seule dans cette immense pièce. Je pivotais. Oui, il n’y avait personne. Curieux.

Je remontais vers le haut, brassant l’eau lentement. J’arrivais à pousser le bouchon de la capsule et à m’extorquer de là. Je glissais doucement vers le sol et me dirigeais vers la table d’examination où mes habits avaient été déposés. Tandis que je masquais ma nudité et me rhabillais, j’observais les alentours. Tout avait l’air normal.

Non, il y avait quelque chose. Là, sur cette table au fond.

Je m’avançais vers elle et l’examinais. Il y avait des papiers et des diagnostics qu’ils n’y avaient pas la dernière fois. Je m’en souviens très bien. Et ma mémoire ne me fait jamais défaut.

Je ramassais la paperasse et en parcourut la moitié.

Hum, une étude sur les Suudlus. Etrange. Non, logique. Ce sont des extra-terrestres qui se nourrissent de l’âme d’êtres vivants. Ce pourrait être un Suudlus qui sévit dans la ville. Mais pourquoi le Docteur Mikado ne réagit-elle pas ? Pourquoi n’a-t-elle rien dit aux autres, à Lala ? Nous aurions pu l’arrêter et des vies auraient été épargnées, ainsi. Ce qui était également étrange, c’était que cette race là était d’un naturel paisible et ne se nourrissait que tous les trois jours, sans faire de morts. Un bon séjour à l’hôpital et la victime était requinquée. Peut-être ce Suudlus là était détraqué. Mais si ça avait été le cas, le Docteur Mikado aurait recherché dans plusieurs ouvrages le type comportemental. Je le connaissais bien, car j’étais une chasseuse de prime, et qu’une chasseuse de prime doit connaître les caractéristiques de toutes les races pour pouvoir trouver leur point faible. Par exemple, celui de Lala était sa queue. Il suffisait de tirer dessus ou de la tenir fermement pour qu’elle devienne soumise. Celui du Docteur Mikado, ses petites oreilles pointues. Elle ne supporte pas les bruits trop aigus et un bruit trop sonore peut l’immobiliser ou la faire tomber à genoux sans aucun problème. Le mien… peut-être mes cheveux, mais je me dégagerais trop facilement grâce à mes dons.

Je remarquais un bloc-notes et le pris. C’était bien une étude comportementale sur un Suudlus. Mais… Etrange. Elle avait un cobaye. Et l’expérience ne datait que de quelques jours. Et si…

Et si elle avait trouvé le Suudlus ?

Si c’était à cause d’une de ses expériences qu’il était devenu agressif ?

Impossible. Je ne pouvais pas me résoudre à penser que Ryoko Mikado était une sorte de savant fou barjo. Ou une illuminée. Je pensais bien la connaître, bien que je ne connaisse pas les détails de sa vie privée, je savais bien une chose.

Ryoko Mikado était peut-être un peu farfelue, peut-être un peu mesquine, mais je savais qu’elle ne pourrait jamais faire de mal à une créature sans défense, encore moins modifier ses gênes. Je savais qu’elle était attentionnée.

Je savais que de son caractère, bien des choses dépendaient de sa douceur et sa gentillesse.

Mais alors, pourquoi nous cacher sa découverte ?

Aurait-elle peur de notre réaction ? Sa faute était-elle si grave que cela ? Se sentait-elle coupable ? Le Suudlus était-il si dangereux ? Comment l’aurait-elle changé en créature cruelle et affamée ?

Mais… pourquoi aurait-elle fait cela ?

Décidemment, depuis que j’étais arrivée sur cette Terre, tout ce que j’avais acquis se dissipait soudainement. Moi qui pensais connaître un tant soi peu les gens.

Etait-ce une illusion ?

Et si le Docteur Mikado n’était pas si charmante que ça ?

Si elle… et si elle aussi était un être détestable, mal attentionné et cruel ? Mais pourquoi l’aurait-elle alors sauvé ? Etais-ce juste pour cacher son jeu ? Si cette hypothèse se voyait confirmée, dans quel but aurait-elle fait cela ?

Je pris un bocal rempli d’eau et le faisait doucement tourner, observant les ondulations de l’eau. Puis j’accélérais de plus en plus, jusqu’à ce qu’une vrai agitation fasse déborder le liquide qui alla éclabousser le sol.

Et si le Docteur Mikado était comme ce liquide ? Ondoyant doucement pour devenir tempête dangereuse.

-         Que fais-tu là ? tonna une voix.

Je lâchais le bocal et il éclata en une pluie de morceaux scintillants, m’éraflant les bottes et les cuisses. Le liquide s’était répandu et me brûlait la peau, à présent.

Je me retournais vivement.

-         P’tite Ombre ?

-         Docteur Mikado.

-         Tu es sortie de ta capsule ? Tu n’aurais pas dû tant que je n’étais pas revenue, c’était dangereux.

-         Pourquoi ça, Docteur ?

-         Oh, une bricole. Ne t’inquiètes pas, tant que tu resteras avec moi, il ne t’arrivera rien.

-         Et pourquoi devrais-je m’inquiéter ?

-         Je... Ce n’est rien, tu n’as plus à t’inquiéter, si jamais tu l’as été, rit-elle.

-         Votre petit jeu ne fonctionne plus avec moi, Ryoko Mikado.

-         De… de quoi ? Quel jeu ? Qu’y a-t-il, P’tite Ombre ? Tu ne te sens pas bien ?

-         Cessez votre jeu. Enlevez ce masque. Montrez-moi votre vrai visage.

-         Enfin, ne sois pas ridicule.

-         Il suffit. Votre petite menace dont vous me parliez tout à l’heure. Ne serais-ce pas un Suudlus affamé ?

Elle pâlit et ses yeux s’écarquillèrent légèrement.

-         Je… qu’est-ce qui te fais dire ça ? Un Suudlus, ici ? Affamé, en plus ! Seigneur, je ne suis pas folle à ce point là !

-         Votre visage vous a trahi. Comme cette étude récente.

Je lui jetais le bloc-notes et elle le rattrapa habilement. Elle devint encore plus pâle.

-         Ombre Dorée, écoute-moi. Ne fais l’erreur de ta vie.

-         Ce n’est pas l’erreur de ma vie, c’est l’erreur de votre vie, Ryoko Mikado.

Mes cheveux, devenus de longues armes pointues et scintillantes, se dressèrent, menaçantes.

-         Ombre ! Je t’en prie. Il n’est pas la peine de nous battre. Et je refuse de me battre contre toi.

-         Dommage pour vous.

Les armes se transformèrent en longs cors de chasse. Mikado s’affola et porta machinalement ses mains à ses oreilles.

-         Ombre, ne fais pas ça ! Ecoute-moi…

Les cors sonnèrent. Mikado hurla, à genoux, suppliante. Elle était à mes pieds. Et elle n’amorça aucuns gestes menaçants. Aurais-je fais une erreur ? Ou était-elle simplement paralysée ?

-         Cesse ta cacophonie. Et laisse Kyoko tranquille. Mesure-toi à quelqu’un de ta taille.

Je fis volte-face tandis que Mikado s’écroulait, inerte et sonnée, dans une dernière phrase.

-         Non, Yori, murmura t-elle faiblement.

Ses yeux… le Suudlus.

Et il était affamé.