Une douleur dans le genou

par L-Keriel

Je ne pense pas que beaucoup d'histoires commencent par une douleur dans le genou. Ni que beaucoup d'histoires soient causées par une douleur dans le genou ; peut être à la limite par une flèche dans le genou. Mais c'est le cas de celle-ci. Elle commence par une simple douleur dans le genou.

« Ah putain de merde quel connard celui-là ! »

...

C'est aussi une histoire qui commence par des insultes.

Eva essuya d'un geste vif son front recouvert de sueur. Puis elle regarda autour d'elle, faisant souffrir sa nuque et ses cervicales dans la précipitation de son mouvement. Personne.

« Pfiou. C'était limite cette fois. Plus qu'à... »

Tomber. Hum. Elle n'avait pas prévu ça, son genou venait de la lâcher.

« Et merde ! » cria-t-elle dans la seconde que lui accorda sa chute avant que son visage ne rencontre durement le sol.

Elle avait mal au genou. Et très mal au nez. Mais surtout mal au genou. Dans un grognement rageur elle se redressa sur les coudes, en évitant de poser ses paumes de mains éraflées sur le sol, et passa sur les genoux. Aussitôt, elle siffla douloureusement et se laissa tomber en position assise. Elle aurait dû y penser avant. Si elle avait mal au genou ce n'était pas stratégique de s'appuyer sur le dit genou. En massant le concerné, elle se dit qu'il fallait qu'elle arrête d'y penser. Qu'elle arrête de penser au mot « genou » également. Le mot flottait dans son crâne. Elle en perdait son… son quoi ? Son genou... Genou ? Elle fronça les sourcils et s'allongea sur le dos.

Les bras en croix, elle profita de cet instant pour regarder le ciel et rentabiliser sa chute. Au moins, la vue n'était pas si mal, les toits des maisons remplissaient son champ de vision périphérique de tâches colorées et le ciel bleu dans lequel se baladaient quelques nuages était apaisant.

C'est pour ça qu'elle râla quand une silhouette se pencha vers elle, lui cachant la vue.

« Dis donc, qu'est-ce que tu fais là toi ?

- Law ?

- En chair et en os. »

Eva haussa un sourcil avant de fermer les yeux avec une moue vexée.

« Tu me caches le soleil Monsieur en-chair-et-en-os. »

Un léger rire atteint son oreille et elle ouvrit un œil surpris.

« Je rêve ou tu viens de rire ?

- Et alors ? demanda le pirate qui avait récupéré son sérieux en une seconde.

- Rien. Je pensais juste que tu en étais incapable. Aie ! Mais ça va pas la tête ! J'ai mal au genou j'te signale !

- Tiens donc ? fit Law avec un rictus en reposant son pied par terre. Je ne m'en étais pas rendu compte. »

Eva marmonna en se redressant pour s'assoir. Le mouvement entraina une douleur lancinante dans l'articulation de sa jambe et elle remit son idée de se lever immédiatement en question.

« Tu peux m'aider ?

- Oh oui bien sûr ! Je n'attendais que ça, tu me connais si bien. C'est vrai que j'adore me balader en ville pour aider toutes les personnes que je croise qui semblent être dans le pétrin et parfois même blessées.

- Oh Monsieur en-chair-et-en-os a disparu et c'est le grand retour de Monsieur le-roi-du-sarcasme ? Formidable ! »

Law lui offrit un sourire entendu.

« Tu comptes trainer au milieu de la route encore longtemps ? »

Eva haussa les épaules avant de tapoter le sol du bout des doigts. Elle essuya distraitement un des pavés du tranchant de la main.

« Ma foi, ce n'est pas si désagréable tout compte fait. Je sens qu'on est en train d'établir une relation de confiance lui et moi. Et puis, ajouta-t-elle avec un air pensif, c'est toujours mieux que de finir pendu quelque part. »

Elle avait retenu l'attention du pirate qui inclina délicatement la tête.

« Pendu ?

- Mes dernières rencontres ont l'air de maîtriser un paquet de nœuds et le coulant est leur grand favori. Donc rester par terre est un bon choix de survie.

- Et ils ressemblent à quoi ces gentlemen ?

- Oh tu sais, les classiques. Une bande de brigands tatoués avec des tee-shirts blancs et des rouleaux de cordes passés autour des épaules. Pourquoi ça ? »

Law désigna le bout de la rue de l'index et Eva bascula sa tête en arrière avant de grogner.

« Ouais. Ils ressemblent exactement à ça. Tu n'aurais pas besoin d'un membre supplémentaire dans ton équipage par hasard ? Non attends, ton équipage a bien droit à des soins gratuits ? Sinon je retire mon offre.

- Je ne vais pas te prendre à bord, lâcha Law en prenant la direction opposée des bandits. Tu es parfaitement inutile dans toutes les situations que je pourrai rencontrer dans ma vie. Débrouille-toi. »

Eva se remit laborieusement sur pied pour partir à sa suite en boitant. Law l'ignora avec superbe et poursuivit son chemin. Il en fallait bien plus pour la décourager et elle n'en était certainement pas à son premier échange de ce genre avec lui.

« Attends ! Je suis sûre qu'on peut trouver un accord.

- Non.

- Même pas en souvenir du bon vieux temps ?

- De quel « bon vieux temps » tu parles exactement ?

- D'accord... Donc tu ne comptes vraiment pas m'aider.

- Du tout, répondit-il avec amusement, toujours sans la regarder.

- Tu l'auras voulu. Stratégie de la dernière chance. »

Elle se tourna vers ses poursuivants et haussa la voix.

« Eh les gars ! C'est mon chef le tatoué ! Réglez vos problèmes avec lui ! »

Elle baissa le bras qu'elle avait agité en direction du groupe qui s'approchait, maintenant déterminé à s'occuper des deux étrangers de leur île, et se tourna vers Law — qui la regardait enfin — pour lui sourire.

« On fait équipe maintenant. Et un coup de main ne serait pas de refus, camarade. »

Law plissa lentement les yeux et Eva pinça les lèvres en soutenant son regard. Le tout maintenant c'était de survivre à la colère du pirate ou d'arriver à la dévier vers autre chose que sa personne.

« Je suis très légèrement impressionné mais surtout extraordinairement agacé par tes méthodes.

- Oh je le vois très bien à l'étincelle meurtrière qui brille si joliment dans ton regard. Et au délicat ton glacial de ta voix. Mais je te propose qu'on en reparle après eux. »

Et Eva boitilla jusqu'à un mur pour s'y adosser ; la douleur s'intensifiait et elle craignait de tomber si elle restait appuyée sur sa jambe trop longtemps.

« Je suis blessée, capitaine, je te laisse gérer ça. Ça ne devrait pas te poser problème.

- Par contre je n'en dirais pas autant pour toi...

- Tu m'excuseras mais puisqu'ils ont des cordes et pas toi, j'ai plus peur d'eux pour le moment.

- Et tu n'as pas pensé que je pourrais toujours partir-

- Tu aimes trop me voir galérer pour ça, l'interrompit la blessée en croisant les bras.

- Et te laisser en pâture aux vautours ? poursuivit sérieusement Law, même si le sourire qui était apparu un instant sur ses lèvres confirmait les propos d'Eva.

- Ce ne sont pas des vautours. À la rigueur des gros pigeons.

- Hé ! Qui est-ce que tu traites de pigeons ?

- Avec une très bonne ouïe en tout cas. »

Law confirma mollement en sortant les mains de ses poches. Eva regarda le groupe de tee-shirts blancs qui s'étalait pour bloquer la rue. Les vagues douloureuses qui remontaient dans sa jambe lui firent cligner des yeux pour chasser les premiers points lumineux qui apparaissaient. Il fallait qu'elle pense à autre chose, aux pigeons par exemple.

« Ils ne sont pas si bêtes que ça... Une bande de palombes peut-être ? Est-ce que c'est un peu, vraiment un peu, plus intelligent qu'un pigeon une palombe ? »

La question était si impromptue quelle perturba la bande de brigands. Ainsi que le pirate qui fixait maintenant le vide, se demandant probablement pourquoi il continuait à venir parler à la rouquine quand ça finissait toujours de la même façon. Soudain, ignorant le silence gêné provoqué par ses questionnements, Eva frappa son poing dans sa main.

« Bon sang mais c'est bien sûr ! Les tourterelles sont largement plus stupides. Vous êtes une bande de tourterelles. »

Ramené à la vie, ou tout du moins à la réalité, par cette exclamation emplie de joie, Law regarda les ennemis d'Eva qui restaient bêtement à les regarder l'un puis l'autre. Les pauvres, en plus de se retrouver face à Eva c'était probablement la première fois qu'on leur manquait ainsi de respect en si peu de temps, exclusivement en les comparants à des oiseaux.

En parlant d'oiseaux, un vol de mouettes criardes les interrompit. Enfin interrompit le second silence qui s'éternisait. Faisant remarquer que ces quelques oiseaux marins devaient réunir plus de neurones que dix bandits, Eva prit courageusement la fuite — laissant un Law passablement agacé derrière elle — en grimaçant. Elle avait toujours mal au genou.