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Coup de cœur

Hasard...

*

-Jooheon, attends !

L’appel de Minhyuk fut vain et l’interpellé fit la sourde oreille, secouant ses cheveux étroitement tressés comme un chien qui s’ébroue en se jetant sur l’énorme fauve qui détruisait allègrement les bâtiments autour de lui. La peau violette du Béhémoth n’était pas aussi résistante qu’une fois tannée et transformée en plastrons pourpre, et l’épée enflammée de Jooheon blessa significativement le monstre qui laissa échapper un rugissement terrifiant. Il n’eut cependant pas le temps de se retourner que le jeune soldat avait déjà produit un jet de flammes meurtrier qui eu presque achevé de transformer le Béhémoth en tas de cuir fumant à la fourrure rouge brûlée. Sans le cri d’avertissement de Soyou, Jooheon, trop persuadé de sa victoire, n’aurait pas vu le coup de griffe qui lui aurait brisé le dos. Déstabilisé, il bondit sur le côté, alors que Minhyuk, abandonnant toute tentative de stratégie, fonça abattre son arme sur le crâne de l’invocation, administrant enfin le coup de grâce avec un râle d’épuisement.

Et leur environnement, la ville en ruine, les pierres fumantes et les flaques d’eau teintées du bleu sanglant de la créature, tout se mit à se déliter autour d’eau. Avec un bruit de crépitement électronique, toute la scène s’évanouit pour laisser place à leur salle d’entraînement en réalité virtuelle, et Minhyuk jeta son équipement à terre pour se ruer sur Jooheon et l’attraper violemment par le col.

-T’es pas bien putain ? Tu te rends compte que t’aurais pu crever ?

-Lâche-moi ! Protesta l’autre, Comme s’il avait pu arriver quoi que ce soit, c’est une simulation, génie !

-Le but c’est de ne pas se comporter comme si on était dans une simulation, crétin ! T’es pas invincible, si t’avais été tout seul t’y serais passé !

La flamme meurtrière dans les yeux de Minhyuk, noir et perçants, fit déglutir Jooheon, qui abandonna sa superbe dans un soupir.

-Justement. J’étais pas tout seul. Vous étiez là.

La voix de Soyou s’éleva, douce et calme, comme à son habitude.

-Minhyuk a raison. Quand on sera première classe, on ne pourra plus travailler en équipe. Il faut qu’on apprenne à être irréprochables seuls. Sinon, tu ne monteras jamais en grade.

La jeune femme, plus petite du trio, était assise à même le sol. Soyou possédait cette étrange capacité à suivre les entraînements virtuels sans jamais bouger son corps dans la salle d’entraînement, et bien qu’elle ne bougeât jamais son corps physique, sa musculature et ses pouvoirs s’étaient tout autant développés que ceux des deux autres. Normalement, cette salle d’entraînement était supposée créer une simulation sans danger en réalité virtuelle pour que les SOLDATS s’entraînent physiquement, mais Soyou se contentait en général de méditer, tout en parvenant à être active à l’intérieur de la simulation. Elle avait un calme et une impassibilité à toute épreuve, et en mission sur le terrain, ses deux pistolets étaient pourtant bien plus meurtriers que les attaques flamboyantes de Jooheon.

-Je ne sais pas vraiment si j’ai envie de devenir première classe, soupira alors ce dernier.

Minhyuk le lâcha, déclenchant une quinte de toux. Malgré le fait qu’il s’en sente désolé, il s’abstint de le verbaliser, toujours frustré par la conclusion de leur entraînement.

-Quel intérêt de rester deuxième classe à vie ? Interrogea Soyou, se parant d’un léger sourire, comme si elle connaissait déjà la réponse de Jooheon, mais qu’elle attendait juste qu’il accepte de la lui donner.

-Avoir des coéquipiers, répondit ce dernier après une hésitation.

Minhyuk soupira en appuyant sur le bouton qui ouvrit la porte coulissante automatique.

-Si on a encore besoin de coéquipiers, c’est qu’on est trop faibles. Le but du SOLDAT c’est de faire de nous des première classe, personne te laissera stagner comme ça. S’ils voient que t’es incapable de monter en grade, on va juste t’irradier encore plus et te filer un mentor.

-Ça va, je sais, lâcha Jooheon en jetant brusquement son épée à terre.

Le silence s’abattit sur eux. Soyou se releva sans un bruit, aérienne, et Minhyuk raccrocha son gilet pare-balle. Jooheon décrocha les matérias de feu précédemment absorbées par son bracelet, et se laissa un instant charmer par la fumée incandescente et les reflets topaze de la sphère transparente, scintillant de mille feux. Il en existait de toutes sortes et de toutes les couleurs, toutes parfaitement lisses et arrondies, comme faites de verre, jusqu’à se liquéfier lorsqu’elles rencontraient une surface absorbante, qui permettaient de canaliser leur pouvoir. Jooheon avait entendu que certains SOLDATS étaient capable de résister à l’absorption de matérias dans leur propre poignet, afin d’être eux-même le catalyseur de leur magie. La plupart cependant, faisaient comme lui et utilisaient un type de cuir tanné à la magie pour construire des équipements, ou recouvrir leurs armes pour utiliser les dons de ces petites pierres. Jooheon avait une prédilection pour les matérias de feu et de foudre, ayant fait forger son épée directement dans un métal volcanique. Il avait toujours adoré apprendre à combiner matière et magie, et si le SOLDAT ne l’autorisait pas encore, en tant que deuxième classe, à utiliser son propre équipement, mis à part des bracelets déjà usés, il avait heureusement pu garder son arme durant toute la durée de son service, ses supérieurs ayant jugé qu’il représentait un atout majeur pour ses équipiers. C’était également la raison qui avait fait que Jooheon avait gravi les échelons plus vite que les autres, et n’avait en réalité jamais subi la formation d’un SOLDAT troisième classe, contrairement à Minhyuk et Soyou. Il était arrivé directement au rang du milieu, formant un quatuor avec le trio des deuxième classe.

-Remarque, si j’avais un mentor, je pourrais lui demander ce qu’ils ont fait de Kihyun, grommela le jeune homme entre ses tresses.

Il ne fallut pas plus d’une demi-seconde à Minhyuk pour foncer de nouveau vers lui et coller son front et son nez à ses traits, les siens déformé par la colère.

-Jooheon, va vraiment falloir que t’apprennes à fermer ta gueule, susurra-t-il entre ses dents serrées, glacial.

L’autre lui rendit son regard, avant de baisser les yeux au bout de quelques secondes, résigné. Minhyuk n’insista pas, et quitta la pièce en ramassant les armes des deux autres, probablement dans l’idée d’aller se calmer à l’armurerie en les rangeant à leur place. Jooheon et Soyou savaient que, loin d’être une initiative altruiste, il s’agissait en réalité de la manière de leur leader de classe de leur dire « laissez-moi seul ».

*

-Tu crois qu’ils vont rentrer bientôt ?

-Qui ça ?

-Les première classe.

Chris cessa ses flexions pour se retourner vers la conversation de ses deux amis. Changkyun était étalé, bras et jambes en étoile, sur la moquette de la salle de restauration, épuisé par leur retour de mission qui ne s’était pas fait sans casse. Jisung en revanche, était incapable de s’asseoir, encore surexcitée par l’adrénaline de leur récente aventure, et sirotait sa boisson gazeuse en sautillant autour du corps de Changkyun, ne cessant de déblatérer à propos de sujets divers et variés. Chris et Sewoon dévoraient leurs rations avec avidité sans plus se préoccuper de leurs coéquipiers, mais Jisung venait de soulever un point intéressant.

-On s’en fout des première classe, Jisung…

Même si tout le monde n’était pas de cet avis. Chris ravala un petit rire en entendant la voix traînante et plaintive de Changkyun essayer sans succès de réduire son ami au silence.

-On s’en fout pas, t’es malade ! Ça fait trois semaines qu’ils ont déserté les locaux, ils doivent ramener des trésors de fou et leurs rapports vont être passionnants ! En plus les deuxième classe ont un examen bientôt, supervisé par eux, je me demande qui va pouvoir prendre la place de-

-Laisse tomber, intervint Sewoon, Hyunwoo refuse tout le monde depuis trois examens d’entrée, ça ne risque pas de changer cette fois-ci.

Changkyun répondit par une plainte inarticulée.

-Il n’est pas tout seul non plus, suggéra Chris sans grande conviction toutefois.

-Hoseok se rangera à son avis quoi qu’il arrive… Ils ne veulent pas remplacer Kihyun.

-Chut !

Sewoon avait bondit sur Jisung pour plaquer sa main sur sa bouche.

-On n’a pas le droit d’en parler ! Si quelqu’un t’entend, on va tous se prendre un avertissement !

Jisung donna un grand coup de langue sur la paume de Sewoon qui récupéra sa main avec un cri dégoûté.

-Putain !

L’autre lui tira la langue, vexé, avant de voler une poignée de frites dans l’assiette de Chris.

-Y’a personne pour nous écouter, c’est bon… Et puis Hyunwoo il devrait se sortir son balais du cul hein, on arrête pas de nous rebattre les oreilles avec les première classe tellement puissants qu’ils peuvent gérer toutes les missions seuls, en attendant depuis qu’ils sont que deux ils passent leur vie glués ensemble.

-Ouais, en même temps, c’est la guerre, ducon.

-TOI-MÊME !

Alors que Changkyun se relevait de ses cendres pour se jeter sur Jisung, Sewoon soupira à fendre l’âme.

-C’est pas seulement ça… Je crois que des troisième classe ont disparu aussi. Tant pis pour la discrétion mais… Je crois qu’ils ont juste peur d’être corrompus.

-Corrompus ? s’étonna Chris.

-C’est déjà arrivé, c’est pas le genre de trucs qu’on trouvera dans les bouquins d’archives de la ShinRa mais c’est comme ça que les derniers première classe ont disparu. Ils ont perdu aussi toutes les secondes classes, une section scientifique entière, le directeur Lazard a disparu lui aussi, et une TURKS a même déserté.

Changkyun, un index dans une narine de Jisung, se retourna vers ses camarades.

-J’suis pratiquement certain qu’on est pas du tout censés avoir cette conversation.

-C’est pas interdit de parler du directeur Lazard, ils ne peuvent pas l’empêcher… Il a créé le SOLDAT, ça faisait pratiquement vingt ans qu’il était directeur. Personne ne sait ce qui lui est arrivé, et pareil, les disparitions de Sephiroth et Zack avant qu’ils décident de reformer le SOLDAT, c’est pas comme s’ils avaient réussi à trouver une excuse pour empêcher les autres de parler.

-C’est juste qu’on saura jamais pourquoi ils ont déserté.

Sewoon se mordit la lèvre.

-Pourquoi ils sont morts, surtout.

Sa réflexion jeta un froid. Même Jisung finit par s’asseoir tristement.

-Dis pas ça…

-C’est sûr, Jisung. Ils ont dû découvrir quelque chose d’horrible, et on les a réduit au silence.

-Si c’est ce que tu penses, pourquoi t’es encore là, toi ?

Sewoon rendit son regard à Chris. La réflexion de son ami n’était pas aussi agressive qu’elle n’en avait l’air, plutôt empreinte d’une curiosité véritable, mâtinée d’inquiétude face à tout ce que sous-entendait l’autre.

-Je ne sais pas. Peut-être parce que j’ai encore peur de la ShinRa.

*

Hoseok avait rarement été aussi fourbu de sa vie. Il n’avait pas échangé un seul mot avec Hyunwoo dans l’hélicoptère qui les avait enfin ramenés dans leurs locaux. La mission avait été un succès, libérer un réacteur Mako au fin fond d’un cratère montagneux des troupes du Wutai. Poussés par leurs supérieurs, les deux première classe avaient longuement tenté de négocier avec leurs assaillants, offrant même une rétribution financière en l’échange d’un cessez-le-feu sur la région. De l’avis de Hoseok, il ne s’agissait nullement du fait que la ShinRa se découvre un goût pour l’humanitaire, mais cela signifiait que leurs troupes affrontaient une adversité toujours plus grandissante, et en réalité, ils étaient en difficulté. Il ne savait pas ce qui se négociait ni ce qui se disait dans les réunions des hautes sphères, mais il était de plus en plus inquiet quant à la tournure des événements. Il n’avait pas pour habitude de questionner les ordres qu’ils recevaient (il était dans sa nature d’être docile, après tout, ils étaient formés pour cela), mais la perspective d’un affrontement ouvert qui annihilerait tout le SOLDAT de nouveau n’était pas vraiment pour le réjouir.

Hyunwoo avait énormément donné de lui-même également. En réalité, il était sûrement celui pour qui la situation était le plus difficile. Orphelin du Wutai récupéré lors d’un bombardement et élevé par la ShinRa, à Midgar, il n’avait jamais remis en question ce qui lui avait été gracieusement offert, le gîte, le couvert, l’éducation, et la formation militaire qui lui permettait un métier et un salaire. Pour autant, et ce depuis la disparition de Kihyun, Hoseok sentait que son ami se renfermait sur lui-même, en proie à des questionnements existentiels qui n’avaient sûrement rien de réjouissant. Déjà tiède à l’idée de jouer les interprètes, étant donné qu’il était encore bilingue, il s’était encore refroidi lorsque la nouvelle directrice, Yoon Bora, leur avait ordonné d’oublier la méthode douce et d’exterminer ceux qui assiégeaient le réacteur, estimant que « la comédie avait assez duré ».

-Bonne chance, lui marmonna Hyunwoo, impassible, alors qu’il se rendait de son côté dans la salle des archives pour rédiger son rapport.

Sans attendre de réponse, que Hoseok n’allait de toute façon pas lui donner, il s’éloigna dans le couloir. L’autre le regarda partir, sa grande stature voûtée sous la pression, le cuir chevelu encore fumant, et les lanières de cuir vaguement desserrées dans son dos. Il avait bien conscience d’avoir aussi piètre allure que son camarade, et alors qu’il tournait les talons pour se rendre au laboratoire, il se prit à espérer qu’il n’ait pas l’air trop pathétique.

Hyolyn l’accueillit en tentant de lui faire la conversation, mais Hoseok ne lui répondit que par mono-syllabes alors qu’il se soumettait aux examens qui allaient probablement tirer la moindre trace d’énergie qu’il lui restait. La jeune femme abandonna bien vite ses tentatives de faire bonne figure, se contentant de lui prélever du sang, de la moelle, de la peau, et heureusement pour lui, Hoseok échappa cette fois aux analyses d’urines. Il laissa seulement échapper un gémissement lorsque l’énorme aiguille lui transperça l’échine pour recueillir sa moelle, mais Hyolyn ne s’excusa pas. Il ne réagit pas lorsque le scalpel lui entailla le biceps, et ferma les yeux lorsqu’on lui fit subir ses diverses injections de rigueur.

Aucun SOLDAT première classe ne ressemblait aux autres. La vérité, inconnue aux moins bien gradés, était que chacun, depuis Sephiroth, était forcé de se soumettre à une expérience de longue haleine qui visait à perfectionner le SOLDAT. Hyunwoo n’avait pas été sauvé par bonté d’âme, il l’avait été parce que cela avait été la première fois qu’un homme du Wutai pouvait grandir au sein de la ShinRa, et que ses dispositions particulières allaient en faire un atout de premier choix. Hoseok, une fois sa nomination effective, s’était retrouvé le protégé de Hyolyn, qui avait attendu sa nouvelle radiation à l’énergie Mako pour débuter son projet avec lui. A l’image des premières classe Angeal et Genesis, dont Hoseok avait été capable de lire les rapports avant leur mort, il avait été le sujet de nombreuses greffes de cellules étrangères, avec le potentiel d’améliorer encore son organisme -encore plus que lorsqu’il avait été irradié avec de l’énergie nucléaire. Ces cellules, on les avaient retirées de…

-Hyungwon, tu veux bien approcher, s’il te plaît ?

Hoseok se retint de faire la moindre remarque lorsqu’il vit Hyungwon avancer vers la scientifique, mais son cœur se tordit lorsqu’il remarqua qu’il semblait encore avoir perdu du poids. Le grand jeune homme était frêle, ses longs cheveux noir corbeau n’avaient probablement pas été coupés depuis son départ et lui tombaient dans les yeux en mèches ni grasses ni propres. Son teint était pâle et rehaussé par des cernes aussi bleues et grises qu’une matéria de vent. Hyungwon n’avait pas les yeux bleu-vert comme les SOLDATS (sauf Hyunwoo qui avait conservé ses yeux chocolat noir, sans doute un attribut de naissance qui avait résisté à la radiation de Mako), et les noisettes pailletées d’or scannaient la pièce avec attention. Il sourit à Hoseok lorsqu’il le vit, et ce dernier sentit son cœur se retourner pour de bon, et il lui rendit son sourire en tremblant en le regardant s’asseoir à côté de lui. Il lui avait manqué plus que tout.

-Tout est bon, marmonna Hyolyn, autant pour elle-même que pour les deux jeunes hommes lorsqu’elle passa ses prélèvements aux scans de l’organisme de Hyungwon.

-C’est vrai, il n’a pas rejeté mes cellules ? Interrogea-t-il.

-Non, toujours pas, et c’est une excellente nouvelle. Je crois que vous commencez enfin à atteindre le bon niveau de symbiose pour qu’on puisse passer aux tests supérieurs.

-Ce qui veut dire.. ?

Hoseok était méfiant, bien qu’il soit certain qu’il n’aurait pas d’autre choix que de se conformer aux décisions du département scientifique.

-Pendant tes prochaines sessions d’entraînement, on va te tester sur ta capacité à absorber le plus de matérias possible et de voir ce que tu arrives à utiliser jusqu’à ce que tu sois trop fatigué.

Hyungwon se mordit la lèvre alors que Hyolyn rangeait son matériel.

-Tu peux te rhabiller maintenant. Si l’entraînement est concluant, on refera une greffe dans les jours qui suivent. On n’a pas trop le temps de traîner, donc on te fera une nouvelle radiation dans la foulée pour t’aider à cicatriser.

-Je ne pense pas que la radiation soit nécessaire, Hoseok en a déjà subi des tas…

-Justement, une de plus ou de moins, pas de quoi en faire un plat !

Elle coinça une mèche de ses cheveux noir de jais derrière son oreille, lèvres pincées.

-Et Hyungwon ? Une autre greffe va encore plus l’affaiblir ?

-Ça, mon cher soldat, c’est notre problème, pas le tien, rétorqua sèchement la jeune femme.

Et les deux jeunes hommes furent laissés livrés à eux-même dans le laboratoire avant d’avoir eu le temps de réagir, les yeux rivés sur la porte qui venait de claquer.

-Ne t’en fais pas pour moi, murmura Hyungwon, s’ils voient que je suis trop faible, ils ralentiront le rythme… Ils ne peuvent pas me perdre, pas alors que Tseng protège toujours Aerith. Ils ne peuvent utiliser que moi.

Hoseok serra les dents, et s’empara de la main de Hyungwon, entrelaçant leurs doigts.

-Ce n’est pas parce que tu ne peux pas mourir qu’ils devraient avoir le droit de t’exploiter comme ça, c’est de la torture.

-Attention, Hoseok, sourit doucement Hyungwon en posant sa tête dans le creux de son épaule, tu sais bien qu’ici, les murs ont des oreilles.

Le silence s’installa entre eux. Hoseok ferma les yeux, oubliant qu’il avait une douche à prendre, puisque cela ne semblait pas embarrasser Hyungwon plus que cela. Le pouce de ce dernier traçait des ronds sur le dos de la main de l’autre.

-Hyolyn est sous pression. Les résultats sont trop lents, elle risque de perdre le droit d’exercer pour le département expérimental. Mes cellules ne t’apportent pas vraiment de pouvoir offensif, et ils risquent de te faire avaler des matérias jusqu’à ce que tu ne puisses plus supporter la magie dans ton organisme. Promets-moi que tu mimeras des signes de faiblesse plus tôt que tu ne les ressentiras vraiment, n’écoute pas ton vrai seuil de tolérance…

Hoseok embrassa ses cheveux, et promit sans hésiter, respirant à pleines narines l’odeur de Hyungwon. Elle était indescriptible, peut-être trop aseptisée par l’environnement du laboratoire dans lequel il vivait, mais il restait sa peau, ses cheveux, l’odeur que le tissu prenait après avoir été porté par lui toute une journée. Comme une preuve que jeune homme restait vivant.

-Avant de m’y remettre, j’ai deux jours de permission. Ils t’autoriseront à sortir si c’est avec moi. Tu veux aller au cinéma ?

Hyungwon releva la tête, le regard soudainement illuminé, et acquiesça vigoureusement.

-On pourra aller au bord de la Plaque aussi ?

Hoseok sourit malgré lui, plissant les yeux comme un enfant, et embrassa le coin de la bouche de son compagnon.

-Oui, bien sûr. Tout ce que tu veux.

Ils ne tardèrent plus à s’embrasser pour de bon, le cœur battant à tout rompre, comme à chaque fois qu’ils osaient le faire au milieu des locaux de la ShinRa. Les lèvres de Hoseok aspirèrent celles de Hyungwon comme en espérant les pulper de vie et d’amour, et les longs doigts fins de Hyungwon se nouèrent dans sa nuque alors que leurs langues se rencontraient timidement, comme si c’était la première fois. Entre deux souffles courts, Hoseok murmura en effleurant la bouche de l’autre du bout des doigts :

-Tu crois qu’elle nous laisse faire ça derrière son dos parce qu’elle a besoin de nous de toute façon, ou parce qu’elle est trop conne pour s’en rendre compte ?

Hyungwon pouffa, et l’embrassa à nouveau.

-Aucune importance… Tant qu’elle nous laisse.

Hoseok enroula ses bras autour de lui, retenant le plus fort possible son besoin irrépressible de serrer Hyungwon trop fort. Il sentit ses yeux le brûler alors qu’il se laissait aller à leurs baisers, tentant d’oublier qu’il leur fallait à tout prix que la ShinRa continue d’avoir besoin de Hyungwon pour qu’il soit à même de survivre.

*

-Kihyun, qu’est-ce que tu fous là ?

-Eh bah, ça fait plaisir ! Moi qui suis juste venu proposer une mission à mon meilleur ami en mémoire du bon vieux temps, c’est comme ça qu’on me dit merci ?

Minhyuk, incrédule, fixa Kihyun qui lui tendait l’ordre de mission avec un grand sourire, plus grand qu’il ne lui avait bien souvent vu. Depuis qu’il avait été promu première classe, il irradiait d’une joie de vivre inhabituelle, accentuant encore plus sa petite taille, puisqu’il semblait à Minhyuk qu’il avait maintenant tendance à sautiller partout comme cet exaspérant troisième classe qui bondissait autour de Soyou tous les midis dans le self. Il n’avait toujours pas abandonné l’idée de conserver ses cheveux rose bonbon, qui voletaient autour de son visage fin avec légèreté.

-Bon, c’est quoi ta merde, grogna Minhyuk en s’emparant de la feuille, un sourire au coin des lèvres.

-Une invocation non-identifiée dans les montagnes de Gongaga. Elle fait du dégât et a détruit une partie du village. On a construit un réacteur sur leurs terres donc techniquement, on leur doit protection. J’aurais pu y aller tout seul, mais on m’a autorisé à emmener soit un corps de milice, soit un SOLDAT qui ne soit pas première classe. Tu veux bien ?

Le sourire de Kihyun semblait lui dévorer les joues, tant il était sincère. Minhyuk aurait pu sentir son cœur rater un battement quelques années auparavant, mais à présent, il se contentait de lui rendre son sourire, apaisé par l’apparent bonheur de son ami.

-Juste nous deux ?

-Juste nous deux ! Ça va être du gâteau, et j’ai plein de trucs à te raconter.

Minhyuk serra le poing jusqu’à se blesser les paumes et augmenta la température de la douche. Il ressortirait probablement avec des traces rouges plein ses épaules de porcelaine, mais peu lui importait tant que la chaleur lui faisait oublier ces souvenirs douloureux, qui ne cessaient de le hanter à chaque fois qu’il se retrouvait seul trop longtemps. Il ne savait pas pourquoi Kihyun avait disparu quelques semaines après cette mission, il savait juste que la dernière qu’il avait accompli en entier avait été celle qu’ils avaient partagé. Ils avaient ri, s’étaient confié énormément de choses, et s’étaient battus comme des furies, se prouvant l’un à l’autre tous les progrès qu’ils avaient fait. Il s’étaient ensuite cogné les mains avec complicité, et avaient bu une bière dans un bar de la ville une fois rentrés. C’était la dernière fois qu’il avait vu Kihyun, heureux, rayonnant, aussi piquant qu’à son habitude et plus dynamique que jamais.

Il n’avait aucune raison de partir. Il n’aurait jamais déserté. Et Minhyuk était positivement sûr qu’il ne s’était pas fait tuer. Il aurait retrouvé son corps, s’étant jeté dans le premier hélicoptère en voyant son escouade revenir sans lui. Il avait retourné le village, les montagnes qui les bordaient, avait détruit le moindre monstre qui avait croisé son chemin. Il l’avait cherché sans relâche, mais il avait été forcé de quitter les lieux après que des fusillades aient été déclenchées dans le village. Il était reparti bredouille mais fort d’une certitude : Kihyun n’était pas mort. Il n’était pas lâche comme Genesis, ni idiot comme Angeal, ni immature comme Zack, ni orgueilleux comme Sephiroth. Les hypothèses de Minhyuk se mélangeaient dans sa tête et formaient une marmelade répugnante avec ses souvenirs, des moments de fraternité comme des disputes.

Il finit par sortir de la douche, considérant un instant son reflet pâle, ses joues creusées et sa peau plus blanche qu’un sac de farine, ses yeux qui étaient les plus sombres de tout le SOLDAT, malgré la Mako -à part ceux de Hyunwoo, bien sûr. Minhyuk avait toujours été élancé, mais des années d’entraînement lui avaient forgé une certaine carrure, et ses poings serrés faisaient pulser ses biceps à chaque mouvement. Il semblait prêt à frapper quelque chose, ou à fondre en larmes, si on s’intéressait aux veines rouges apparentes dans le blanc de ses yeux. Minhyuk soupira ; il se trouvait pitoyable. Essayant de se détendre, il se mit à s’étirer au milieu de la salle de bains, déserte à cette heure-ci, avant d’enfiler un débardeur noir et un pantalon lâche gris. Sa serviette sur l’épaule, il sortit dans le couloir et frotta son visage tout en avançant plus ou moins à l’aveuglette, sachant pertinemment que ses jambes trouveraient le chemin du dortoir même s’il n’y pensait pas consciemment. Il ne s’attendait pas cependant, à buter contre Hyunwoo.

-Minhyuk ?

Il savait qu’il aurait dû s’incliner, mais il savait aussi que Hyunwoo ne tiendrait jamais rigueur à personne de ne pas obéir à l’étiquette, aussi ne se priva-t-il pas de lui manquer de respect en restant bien droit.

-Tu n’es pas couché ? s’étonna le deuxième classe, songeant qu’après trois semaines de mission à l’autre bout du continent, lui n’aurait pensé qu’à retrouver son lit.

Hyunwoo fit un signe de tête vers le mur, où des photos diverses étaient placardées un peu partout. Minhyuk en connaissait la disposition par cœur, même s’il était loin d’avoir rencontré toutes les personnes qui y figuraient. Il connaissait cette photo de Zack Fair et de son ami milicien, porté disparu lui aussi, Cloud Strife. Il savait que la photo de promotion des actuels troisième classe avait été glissée juste à côté de la plus vieille photo du héros Sephiroth, en haut à gauche, et qu’avant l’arrivée de Jooheon et la gradation de Kihyun, la photo de sa propre promotion de deuxième classe était sous celle de celle de Zack, Kunsel et Luxiere, de la promotion précédente. Il savait aussi qu’il n’y avait pas de photo de Jooheon sur ce mur.

-Qu’est-ce qu’il y a de si passionnant sur le mur ?

Hyunwoo haussa les épaules.

-Nos vies, j’imagine.

Minhyuk leva les yeux au ciel. Hyunwoo ne le vit pas, ou fit semblant de ne pas le voir, continuant de se perdre dans son étrange contemplation. Il avait toujours eu ces yeux qui irradiaient la douceur, bien inappropriés pour un SOLDAT. Il était bien plus grand que toutes les autres recrues de l’armée, et avait cette carrure idéale, cette aura protectrice et quasi-paternelle, rassurante ; de l’avis de tous, Hyunwoo aurait pu remplacer Sephiroth dans l’imaginaire collectif et servir de nouvelle image de propagande pour la ShinRa s’il n’avait pas été aussi évident qu’il était étranger. Les habitants de Midgar s’étaient faits à la nouvelle image du SOLDAT, mais personne ne considérait toutefois Hyunwoo comme un héros à l’image de Sephiroth, même si de l’avis de Minhyuk, il en avait toutes les caractéristiques. Il n’avait jamais trouvé Sephiroth digne de confiance, et il en était de même avec son héritier spirituel.

-On n’a jamais eu le temps de prendre une photo avec lui et Hoseok. De notre promotion.

Minhyuk serra de nouveau les poings qu’il avait pourtant enfin réussi à détendre.

-Heureusement que nous, on y a pensé, alors.

Si Hyunwoo se tendit à l’entente de l’agressivité évidente dans la voix du deuxième classe, il n’en montra rien.

-Tu n’as pas de raison de me détester à ce point, tu sais.

Minhyuk darda sur lui un regard furieux, alors que Hyunwoo penchait la tête pour lui opposer des yeux calmes et profonds, sans animosité aucune.

-Qui d’autre, alors ?

Cela eut au moins le mérite d’arracher un ricanement à Hyunwoo, qui le laissa sans réponse. Incapable de supporter sa présence plus longtemps, Minhyuk tourna les talons, frottant vigoureusement sa serviette contre sa nuque.

Il savait pertinemment que Hyunwoo n’était probablement pour rien dans la disparition de son ami. Il était juste profondément frustré et jaloux, désespéré de ne pas disposer de toutes les qualifications d’un première classe pour se lancer à la recherche de son ami, ce que personne ne semblait être prêt à faire. Il lui en voulait de rester à contempler un mur alors qu’il aurait pu monter une équipe pour remuer ciel et terre et enfin découvrir ce qui lui était arrivé, et plus que tout, il le haïssait d’être soumis à la hiérarchie de la ShinRa parce qu’il se haïssait lui-même pour être coincé dans la même situation. Il avait ce besoin viscéral de rejeter une part de sa rage sur la personne qui lui ressemblait le plus actuellement, et sans nul doute, c’était Hyunwoo. Il savait pertinemment que l’autre passait par les mêmes tourments internes que lui, et cette proximité lui était insupportable. Parce que la raison de leur lien était absente, parce que Kihyun avait disparu, et qu’il ne se voyait pas partager des souvenirs autour d’une tasse de café comme s’il était impossible de faire quoi que ce soit. Minhyuk ne supportait pas d’admettre l’échec.

Malgré sa hargne, il prit soin d’ouvrir et fermer la porte de son dortoir avec toute la délicatesse qu’il lui restait. Ils disposaient de quatre lits, deux lits superposés en réalité. L’un de ceux du haut était occupé par Soyou, qui n’était plus qu’une bosse sous le monceau de couvertures qu’elle avait entassé au-dessus de sa tête. Minhyuk s’était toujours demandé avec une pointe d’amusement comment il lui était même possible de respirer en dormant. L’autre lit du haut, désert, avait appartenu à Kihyun. Minhyuk et Jooheon dormaient tous deux dans les deux lits du bas, le plus vieux sous le lit vide, et le plus jeune sous Soyou. Il semblait d’ailleurs s’être endormi sans s’en rendre compte, le nez écrasé contre un manuel sur les matérias d’invocations et ses tresses seulement à moitié défaites. Minhyuk souffla du nez, et après avoir balancé sans ménagement ses propres affaires sur son lit, il s’approcha de Jooheon.

Il lui retira doucement le manuel des mains, et le posa sur la table de chevet qu’ils se partageaient. En essayant de ne pas le réveiller, il le força à mieux s’allonger, et rajusta son oreiller pour qu’il lui soutienne correctement la tête. Jooheon grogna dans son sommeil, tournant inconsciemment sa tête vers Minhyuk qui laissa un sourire discret fleurir sur ses lèvres fines. Ses jointures étaient douloureuses à force d’avoir trop serré les poings, et il ouvrit plusieurs fois les doigts pour se débarrasser des sensations désagréables qui les parcouraient. Machinalement, il se mit à poursuivre le travail de Jooheon sur ses cheveux, continuant de dénouer ses tresses, une par une, prenant goût à ce travail manuel et répétitif. Il sentit le plus jeune se rapprocher encore de lui, marmonnant quelque chose d’inintelligible. Encouragé, il acheva sa besogne sans se presser, sans se rendre compte que son sourire n’avait pas quitté son visage, et resta encore quelques instants au chevet du jeune homme, avant de réaliser que ses paupières étaient beaucoup trop lourdes pour qu’il se permette de rester éveillé plus longtemps. Il rejoignit son lit alors que Jooheon se retournait dans tous les sens, comme pour chercher la chaleur disparue des jambes de Minhyuk.

*

-Et de toute façon, Jisung il a des jambes trop petites pour devenir un jour première classe…

L’intéressé envoya aussitôt sa canette vide frapper la tête de Changkyun, qui couina d’indignation.

-Mais quoi putain, c’est vrai, non ?

-Comment on peut être admis au SOLDAT en étant aussi con ?

Chris et Sewoon soupirèrent de concert. Il était rare pour eux de rester aussi longtemps enfermés dans les locaux, et il était évident que l’inaction se faisait déjà ressentir. On leur avait dit que la milice s’était occupée de repousser une attaque du Wutai, et Chris avait lu du coin de l’œil un rapport qui parlait d’une série d’explosions inexpliquées du côté de Junon. S’ils n’avaient encore été mandatés nulle part, il était fort probable que l’enquête reviendrait aux deuxième classe, ou aux première classe, et les quatre garçons se sentaient de plus en plus inutiles.

-J’suis à deux doigts de proposer de faire un tour dans la ville pour ramasser les poubelles, marmonna Chris en se laissant lourdement tomber sur la table en face de lui, causant le recul de Sewoon avec un moue agacée.

-On devrait tous être en salle d’entraînement, au lieu de bâiller aux corneilles ! s’exclama Jisung avec un enthousiasme que ses amis savaient faux.

-Vas-y tout seul, si c’est si utile ! Rétorqua Changkyun en passant nerveusement la main dans ses cheveux cendrés.

Jisung était celui qui tenait le moins en place, de leur quatuor, tandis que Changkyun se donnait une image désespérément flegmatique. Le premier était effectivement petit, le visage rond et les traits plus expressifs qu’un dessin comique dans le bas d’un journal. Ses mèches brun-roux surmontaient un teint doré significatif de son enfance dans les massifs du sud, et son sourire ressemblait à un adorable rectangle, lorsqu’il se donnait la peine de sourire et pas de râler sur son meilleur ami. Changkyun était le plus grand d’eux quatre, la peau rose pâle et arborant en permanence une moue condescendante et un sourcil arqué. Ses cheveux gris foncé étaient toujours soigneusement coiffés, sans doute dans le souci de ressembler à Sephiroth lorsqu’ils auraient poussé. Opposés en tous points, ils n’étaient d’accord que sur le fait de ne s’accorder sur à peu près rien. Les deux autres avaient cessé de compter les points entre eux en ricanant il y avait déjà quelques années. Ils venaient tous des quatre coins de leur monde, Chris était né à la Costa Del Sol et Sewoon dans le Village Glaçon, bien au nord. Ils avaient été les seuls de leur promotion à avoir été admis au SOLDAT, et si la concurrence avait au début été rude et la compétition de rigueur, ils s’étaient vite rendu compte que leur dynamique de groupe était d’une rare efficacité sur le terrain.

Sewoon se leva mollement pour aller boire un énième café au distributeur tandis que Chris ébouriffait ses cheveux blonds devant ses yeux. Jisung et Changkyun se disputaient à présent à propos de qui gagnerait un combat entre Hyunwoo et Hoseok.

-De toute façon, personne n’aurait fait le poids contre Sephiroth…

-En attendant, il nous a tous abandonné !

Chris lança un regard plein de reproches tristes à Changkyun, qui se mordit la lèvre sans en rajouter. Jisung, comme eux tous, mais peut-être d’une façon plus marquée, avait des héros dans son imaginaire, et idolâtrait les SOLDAT de première classe depuis sa plus tendre enfance. Ils avaient été dans les bande-dessinés promotionnelles et sur ses boîtes de céréales, ils lui avaient donné de la force lorsqu’il se battait contre les enfants de son village, qui tentaient de lui voler son goûter parce qu’il était trop petit. Jisung n’avait toujours eu qu’un seul idéal : égaler Sephiroth et Zack Fair. Malgré la profonde remise en question que le système avait subi après l’annihilation complète des première classe de la génération précédente, c’était un coup bas que de rappeler à Jisung que Sephiroth avait déserté. Pour autant, la réaction de Changkyun ne sortait pas de nulle part, pas alors que sa famille avait été réduite à la famine après que le commerce avec Nibelheim avait dû cesser totalement et que les cultures aient brûlé. L’accident du cratère de Nibelheim n’avait jamais été élucidé, et tout ce que les jeunes SOLDATS savaient, c’était que Sephiroth et Zack Fair avaient disparu cette même nuit où la ville avait totalement brûlé. Changkyun était déjà parti vers la ville depuis longtemps, dans l’espoir de devenir à même de défendre sa famille contre tout ce qui pourrait leur faire du mal, et à présent ils étaient de plus en plus vulnérables aux attaques des monstres et des terroristes, et Sephiroth n’était pas là.

-Viens on parle d’autre chose…

Changkyun se laissa tomber à côté de Chris, s’appuyant contre le dos de celui-ci.

-J’suis pas un coussin.

-Non, mais j’ai pas mieux, donc ta gueule.

-Et poli avec ça !

Cependant, effectivement, Chris ne bougea pas, réprimant un sourire satisfait. Aucun d’entre eux n’étaient vraiment tactile de nature, pour autant le fait de vivre depuis plusieurs années empaquetés ensemble dans le même dortoir et à accomplir les mêmes missions les avaient rendus beaucoup plus aptes au contact humain. Mais il y avait toujours quelque chose de différent dans la manière dont Changkyun se collait à Chris lorsqu’il était en difficulté dans une conversation, ou en proie à des sentiments compliqués à assimiler. Comme si, d’une manière ou d’une autre, il recherchait la protection du jeune homme, comme s’il avait besoin d’être rassuré, tout en conservant son apparence bravache en extérieur. Chris ressentait sûrement un peu trop de contentement à l’idée de représenter tout cela pour l’autre, et Sewoon ne manquait jamais de lever les yeux au ciel lorsque le manège reprenait.

Jisung était resté debout, le regard dans le vide, hésitant sur la réponse à adopter. Fort heureusement pour ses neurones qui de l’avis de Chris, était sur le point de rendre l’âme, il fut interrompu par l’irruption d’une petite tête blonde dans le réfectoire.

-Les garçons ? Toujours pas de mission ?

-Jeongin !

Jisung et Sewoon bondirent de leur position respective pour se jeter vers le petit jeune homme -plus si petit que cela d’ailleurs, à présent il était presque aussi grand que Chris. Leur cadet avait raté sa première entrée pour le SOLDAT et poursuivait depuis son engagement dans la milice de Midgar. Les occasions de se voir se faisaient de plus en plus rares, et il était difficile de le voir grandir et se débarrasser peu à peu de ses joues rondes et gagner en carrure, et en maturité.

Ils avaient pris Jeongin sous leur aile un peu avant de passer leurs examens, le plus jeune étant victime de ses camarades qui étaient jaloux de ses excellentes notes théoriques, mais qui savaient que le physique était son point faible. Ils avaient pris pour habitude de se déchaîner sur lui pendant les entraînements de combat, et quand Jisung s’en était rendu compte, il avait défié la moitié de la classe de Jeongin sur le terrain. C’était avec un grand sourire satisfait qu’il en était sorti victorieux, encore plus énergique qu’avant d’entrer sur le ring : « c’est la première fois que j’arrive à battre tout le monde ». Jeongin n’en avait jamais fini d’être reconnaissant, et lorsque le quatuor avait été admis au SOLDAT, ils avaient continué d’entraîner spécifiquement leur cadet deux fois par semaine, pour lui faire améliorer ses capacités de combat, et ce, jusqu’à ce qu’il soit à même de les rejoindre au SOLDAT.

-J’ai eu peur, je voulais m’assurer que vous étiez là… bredouilla Jeongin en s’asseyant à leur table, il paraît qu’encore d’autres SOLDAT ont disparus, et ils envoient la milice pour servir d’appât pour démanteler un réseau terroriste.

-Quoi ?

-C’est quoi ces conneries…

-Ce que je vous dis, affirma Jeongin, une escouade de seniors est revenue à moitié décimée, pour l’instant ils n’envoient pas les jeunes, mais je crois qu’ils ont peur de renvoyer les SOLDATS sur le terrain donc… C’est sur nous que ça tombe.

Il avait toujours eu ce tic de frotter son nez retroussé lorsqu’il était sur le point de pleurer, et Sewoon l’enlaça aussitôt, en grand frère protecteur.

-Mais c’est ridicule, le SOLDAT est formé pour ça, pour enquêter et pour aller se battre ! C’est du suicide d’envoyer la milice là où personne ne sait d’où vont venir les attaques ! s’indigna Changkyun.

-C’est bien le problème, soupira Jeongin, je ne sais pas ce qu’ils prévoient et… ça me fait peur.

Chris se mordit l’intérieur des joues et tendit la main par-dessus la table pour prendre le bras de Jeongin. Jisung et Sewoon l’encadraient, Changkyun et lui, collés ensembles de l’autre côté de la table, avaient noué leurs bras et leurs mains, formant un tas de chaleur humaine et un cocon réconfortant pour eux tous, qui n’avaient plus que les uns et les autres comme seule famille.

-S’ils veulent nous évincer, on va trouver pourquoi.

*

Hyunwoo s’était réfugié aux archives, soucieux de terminer son rapport au plus vite et de le perfectionner au maximum pour que Hoseok ait le moins possible à corriger. Il se frotta les yeux, plus désireux que jamais de savourer une théière toute entière du meilleur thé de Midgar -plus en circulation depuis que la guerre avec le Wutai avait débuté puisqu’importé du pays, évidemment. Incapable de dire réellement que sa terre lui manquait, puisqu’il était amnésique d’une grande partie de son enfance passée là-bas, il était pourtant de plus en plus régulièrement atteint d’une profonde mélancolie. Il lui paraissait de plus en plus inadmissible de continuer de décimer des personnes dont il comprenait la langue, par qui il se sentait fasciné, qui semblaient renfermer une partie indéfectible de lui-même. Malgré lui, et malgré les ordres, il commençait à questionner le fait même de se battre, et de gagner au prix du sang. Il se posait de plus en plus la question de savoir si tout cela était bien utile, pourquoi rester en guerre contre leurs semblables.

-T’es encore là toi ?

-Salut, Jet, marmonna le SOLDAT sans lever les yeux de son rapport.

Ce dernier laissa tomber sans ménagement un carton rempli à ras bord de feuillets divers et variés, mais Hyunwoo ne remua pas d’un cil pour autant, impassible.

-Sois plus délicat, tu vas tout faire tomber !

La deuxième voix appartenait à Hyun, un autre TURKS, beaucoup plus grand que son partenaire, déjà de taille relativement moyenne si on la comparait à celle de Hyunwoo. Les deux employés des services secrets portaient leur tenue de travail habituelle comme s’ils s’apprêtaient à repartir en mission sans dormir entre temps. A vrai dire, cela n’aurait étonné personne, les TURKS étant débordés ces derniers temps. Hyunwoo ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il avait aperçu Tseng dans les couloirs, qui depuis la disparition de Zack Fair était encore plus austère et renfrogné qu’à l’accoutumée. Jet et Hyun étaient des recrues récentes chez les espions armés de la ShinRa, et de fait, ils étaient les seuls que l’on était à même de croiser facilement dans les bureaux, les lunettes de l’un toujours étincelantes de propreté, et la moue de l’autre toujours plus désagréable s’il croisait le moindre SOLDAT. Jet semblait vouer une aversion singulière pour ces derniers, ou plutôt un mépris évident. Il n’était jamais venu à l’idée de Hyunwoo de s’en préoccuper, mais Kihyun avait eu plus de mal à s’habituer aux réflexions piquantes et régulières du TURKS qui ne pouvait visiblement pas s’en empêcher si la mission de l’autre n’était pas accomplie absolument à la perfection. Son comparse était plus réservé et vivable, contrebalançant la désobligeance de Jet, et Hyunwoo l’appréciait relativement, même s’il était bien rare pour les hommes de terrain de coopérer calmement avec les TURKS.

Les deux services n’avaient jamais vraiment eu de mal à cohabiter, mais la compétition perpétuelle rendait parfois les choses difficiles. Le rôle des TURKS étaient très souvent d’accompagner les SOLDATS sur le lieu de leur mission, voire de recueillir eux-même les informations de terrain en se contentant de laisser les guerriers s’occuper du travail de force -bien qu’ils aient également leur propre formation de combat. Hyunwoo et Hoseok, particulièrement, étaient de plus en plus souvent amenés à s’associer avec un duo de TURKS, sans parler de Kihyun, qui n’avait pas pu accomplir la moindre mission tout seul depuis sa montée en grade, toujours considéré comme en période d’essai. La première mission qu’il avait pu gérer de lui-même avait été celle avec Minhyuk, et ensuite, il était parti seul, pour ne jamais revenir. Hyunwoo fut obligé de refouler la vague de questions qui lui vint à l’esprit en se souvenant que c’était Jet qui avait rédigé le rapport de disparition, après s’être rendu -en grommelant- sur place pendant que Hyun ramenait Minhyuk à la raison.

-Sans indiscrétion, qu’est-ce que vous faites ?

Hyun lui répondit aussitôt aimablement, sans se préoccuper du fait qu’il coupait probablement la parole à Jet, la bouche ouverte sur une réflexion du genre « de quoi j’me mêle ? ».

-On doit chercher dans les archives de l’an dernier tout ce qui a un rapport avec des explosions inexpliquées dans les villes et villages à réacteur Mako.

-Ah.

Ils se remirent à travailler dans le silence, les deux espions assis chacun à une table de lecture, mais le carton toujours sur celle de Hyunwoo, qui l’ignora.

-Et toi, tu fous quoi ? Finit par interroger Jet, qui ne parvenait que rarement à masquer sa curiosité.

-Rapport de fin de mission.

-Hoseok ne t’aide pas ?

-Non. Il a une perm.

-Ah.

Hyunwoo s’abstint bien précautionneusement de ne pas en dire plus. Hoseok était en ville avec Hyungwon, probablement en train de profiter d’un repas dans un vrai restaurant, et d’une promenade dans l’air frais de la nuit, quoique toujours un peu trop chaud sous la Plaque. Si leur relation n’était pas spécialement dans la zone interdite du règlement de la ShinRa, elle n’était toutefois pas connue de tous, et c’était sans doute pour le mieux. Il était d’ailleurs probable que personne, à part Hyunwoo, ne connaisse la vraie nature des sentiments qui les unissaient l’un à l’autre. Il était juste naturel pour tout le monde qu’ils passent du temps ensemble, étant donné qu’ils partageaient à présent pratiquement le même ADN.

Hyunwoo n’était de plus pas certain de jusqu’où il pouvait se permettre d’aborder le sujet avec les TURKS. La protection sans réserve que ces derniers offraient à Aerith ne s’appliquait visiblement pas à Hyungwon, mais en connaissant le sens de l’honneur tout à fait rigoureux de Tseng, il était douteux qu’il soit capable d’un tel traitement de faveur gratuit pour la jeune femme. Hoseok soupçonnait très fortement que la ShinRa ait ordonné au chef des TURKS de faire un choix, utilisant Hyungwon en échange de la vie sauve pour Aerith, mais Hyunwoo avait plus de doutes. Il envisageait très sérieusement l’hypothèse que Hyungwon ne soit pas né d’un père et d’une mère, mais bien d’un processus de clonage longuement élaboré par la section scientifique dont c’était l’un des rêves depuis l’échec du projet G. Genesis avait été cloné plusieurs fois, tous des monstres voués à être dévorés par leurs propres cellules. Mais les Cetras n’étaient pas des humains, et leur régénérescence phénoménale pourrait être la solution de qui avait fait échouer les projets de créer des soldats clonés. Bien que Hyunwoo n’avait pas encore été à même de prouver sa théorie, il restait à l’affût du jour où il pourrait fouiller parmi les rapports confidentiels de la section scientifique.

-T’en as encore pour longtemps ? J’aime pas taffer avec une intrusion.

Réprimant un sourire, Hyunwoo ferma son dossier sans se formaliser. Il y avait quelque chose de rafraîchissant dans la manière dont Jet l’envoyait se faire voir ailleurs exactement de la même manière que tous les autres SOLDATS. A son étrange façon, il le faisait se sentir comme tout le monde. Hyunwoo n’avait que très rarement éprouvé cette sensation au cours de son existence.

*

-Enquêter sur des explosions ?

Jooheon se retenait visiblement de crever le plafond de joie. Bien que rien dans leur intitulé de mission n’ait quoi que ce soit de réjouissant, il ne tenait plus en place et ne pouvait attendre de se jeter enfin à l’extérieur de la ville. De plus, il avait toujours eu un goût prononcé, et fort peu de celui de ses camarades, pour la magie et les flammes, les bombes et les armes explosives. Il était d’ailleurs probable qu’on leur ait confié une telle charge entre autres à cause de Jooheon, qui serait non seulement plus motivé que n’importe qui, mais aussi plus renseigné et à même de décrypter les traces laissées, le matériel utilisé… Alors que tout cela relevait habituellement du boulot d’un TURKS.

-Oui. Une escouade entière a été décimée par une attaque qu’on a été incapable d’identifier, lui répondit la directrice Yoon, emmitouflée dans son sérieux, mais néanmoins légèrement amusée par la réaction disproportionnée du jeune SOLDAT.

-Comment ça, incapables ?

-Des mines ont été posées un peu partout dans notre base sans qu’on s’en rende compte. On doit savoir comment ils ont pu forcer nos logiciels de reconnaissance, on doit savoir qui ils sont, leur but, et ce dont ils disposent comme arsenal.

Soyou, comme à son habitude, restait silencieuse, les bras croisés et accoudée au mur du fond de la salle de briefing. Minhyuk posait les questions, directement face au bureau du directeur, et Jooheon faisait les cent pas en attendant que quelqu’un lui fasse la réflexion qu’il donnait le tournis à toutes les personnes présentes dans le bureau. Il devança Minhyuk qui roula des yeux, et attrapa la feuille de mission qu’on leur tendait.

-Génial ! On part quand ?

-Préparez-vous, un hélicoptère partira dans trois heures.

Alors que les deux autres étaient déjà à moitié sortis de la pièce, Soyou se décolla du mur, se gratta la nuque, et prononça doucement :

-Pourquoi on est trois pour enquêter, madame la directrice ?

L’autre fut apparemment agacée par la question, ne s’attendant pas à devoir revenir sur ce point. Elle souffla, puis répondit lentement, en se renfonçant dans son fauteuil.

-Veillez les uns sur les autres. On ne veut pas réduire à nouveau nos effectifs.

Soyou hocha la tête, pas surprise le moins du monde par la justification, qui était celle qu’elle soupçonnait. Minhyuk baissa les yeux et sortit à la suite de Jooheon, qui n’avait pas prêté attention à ce que sous-entendait leur supérieure.

« On ne veut pas que vous disparaissiez aussi. »

*