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Le château dans le brouillard

Le voyageur fatigué avait perdu la notion du temps, et il ignorait depuis quand il errait dans le brouillard lorsqu’il arriva au château. La vue qui s’offrait à lui était tout simplement féerique : il était sorti soudainement hors de la brume pour se retrouver dans une nature verdoyante et inondée de soleil. Un petit ruisseau s’écoulant en fredonnant une chanson reposante, et l’immense forêt qui s’étendait tout autour de la bâtisse semblait la protéger comme les bras d’une mère.

Au centre d’une grande étendue de pelouse parfaitement entretenue, une allée de gravier menait tout droit au château. Celui-ci, sans être en ruine, était tout de même en piteux état. Les murs étaient noircis et lézardées, le vernis de la porte et des volets en bois (qui étaient tous fermés) s’écaillait.

Le voyageur frappa à la porte.

« Le mot de passe ! tonna une grosse voix grave.

_ Je ne le connais pas, répondit le voyageur.

_Fouillez dans vos poches, vous devez avoir un papier où est écrit un poème. »

L’homme chercha et trouva une feuille froissée sur laquelle étaient écrits les vers suivants :

« Le pays par l’hiver soumis

Car l’hirondelle est partie.

Partie à tir d’ailes.

Quand reviendra-t-elle ? »

Dès qu’il eut fini de lire, la porte s’ouvrit toute seule. Il n’y avait personne à l’intérieur. Cependant, des chandelles étaient allumées par-ci par-là, semblant indiquer le chemin à suivre. Le voyageur s’enfonça donc dans la demeure, et arriva dans une chambre plongée dans le noir, seulement éclairée par quelques bougies.

Au centre de la pièce, sur un lit à baldaquin, était assise une jeune fille aux cheveux noirs mi-longs, vêtue d’une chemise de nuit blanche. Elle tenait dans ses bras un chaton rayé à la fourrure jaune et orangée.

« Viens ! ordonna la jeune fille. Je t’attendais.

L’homme s’approcha prudemment. Il réalisa soudain qu’il ne savait pas ce qu’il faisait là, ni comment il s’était perdu dans les brumes. En réalité, il ignorait jusqu’à son propre nom.

« Tu ne sais plus qui tu es, n’est-ce pas ? lui dit-elle.

_Non, je n’en ai aucune idée.

_C’est ce qui arrive à tous ceux qui s’aventurent dans le brouillard. Tu dois avoir une lettre cachetée pour moi. »

Le visiteur fouilla une nouvelle fois dans ses poches et y trouva une lettre cachetée sur laquelle était écrit : « Pour Anne ».

« Êtes-vous Anne ? interrogea-t-il.

_C’est bien moi. »

Il lui tendit donc l’enveloppe.

« Mon chat va te conduire dans une chambre où tu pourras te reposer. Pendant ce temps, je vais m’habiller et lire ce courrier. »

Le chaton sauta à terre, se frotta contre les jambes du voyageur, puis s’éloigna et miaula pour qu’il le suive. L’animal guida l’inconnu dans pièces éclairées qu’il avait déjà traversées à l’aller, avant de s’enfoncer dans les ténèbres.

L’homme se repéra grâce aux miaulements de son petit guide, ce qui ne l’empêcha pas de se cogner maintes fois contre des murs ou des meubles. Enfin, il arriva dans une chambre. À tâtons, il trouva un lit où il ne put résister à la tentation de s’allonger, et dormit.

Le voyageur se réveilla le lendemain, et il fut surpris en sortant de sa chambre, de constater que tous les volets du château avaient été ouverts et que la demeure était inondée de lumière. Il retrouva Anne au rez-de-chaussée. Elle portait une robe ornée de motifs floraux.

La jeune fille semblait émue. Lorsqu’elle le vit, elle s’approcha de lui, scruta son visage puis le caressa. On eut dit un archéologue déterrant un vestige du passé.

« Oui, c’est bien toi ! s’exclama-t-elle le cœur au bord des lèvres.

_Excusez-moi, fit-il gêné, mais nous connaissons-nous ?

_Tu ne peux pas te rappeler à cause du brouillard… Comme tu as grandi ! Tu n’avais que sept ans lorsque je suis partie. Tu dois en avoir trente à présent.

_Mais vous ne semblez qu’en avoir quatorze ou quinze !

_Je t’en prie, tutoie-moi comme au bon vieux temps ! Mon aspect extérieur n’a rien à voir avec ce que je suis en réalité. Mon petit hérisson », ajouta-t-elle en caressant sa barbe de trois jours.

Puis elle se mit à pleurer en le serrant contre elle.